Hé oui, dernier jour à Cannes, le festival se termine pour moi.
Comme toujours, on voudrait terminer en beauté, et pourtant cette quinzaine s’est achevée par ce qu’on appelle communément une belle journée de merde.
J’avais prévu de voir Les Proies de Sofia Coppola à 11h30, la séance officielle à cette heure-là étant généralement accessible aux badges presse. À mon arrivée en salle presse, j’apprends en fait que la séance accessible sera celle de Rodin, à 16h… Ayant prévu d’assister à la projection de Zombillenium à 17h, voilà une information qui ne m’est d’aucun secours.

Changement de programme donc. Après un rapide coup d’œil au programme, je me dirige vers le film russe Tesnota, qui raconte le calvaire enduré par une famille pauvre de la Russie profonde quand elle voit le fils aîné être kidnappé avec sa fiancée contre demande de rançon. Une histoire vraie s’étant déroulé en 1998 qui pourrait promettre une tension constante, aux nombreux sous-textes possibles, et qui s’avère pourtant le prototype même du long-métrage craint dans les grands festivals comme Cannes : le film insupportable, pompeux et soporifique. Tourné en 4 :3, cadré très (trop) sobrement, laissant mariner ses plans plus que de raison et discuter ses personnages sur un seul sujet pendant 2h, Tesnota a tous les attraits du drame social où chaque élément semble fait pour montrer le statut auteurisant de l’œuvre de façon tout sauf subtile ou pertinente, juste avec ostentation. Pire encore, le film se permet une scène totalement extérieure à l’intrigue, qui n’en finit plus, et semble là dans le seul but de choquer. Avec une succession de longs plans fixes, le jeune réalisateur nous montre à voir des images (véritables) d’exactions commises pendant la guerre en Tchétchénie, que les protagonistes contemplent sur un écran de télé. Égorgement en gros plans, exécutions, soldats russes qui pleurent et demandent grâce, les images d’horreur s’enchaînent sans que cela n’ait aucun lien avec l’intrigue. Regarder des tragédies réelles et graphiques, pourquoi pas, chacun a sa propre tolérance et ses propres fascinations, mais c’est un processus intime et un choix personnel. En aucun cas le cinéma n’est là pour nous imposer ce genre de séquences, surtout dans une œuvre de fiction, surtout lorsque le scénario n’a aucun rapport avec la scène en question.
Cette séquence laisse un goût véritablement âcre, un profond énervement envers une volonté de choquer qui tient de la pure provocation. Quoiqu’il en soit, si ce n’est une paire de scènes au contenu et au visuel intéressant, le film ne provoque qu’un profond ennui doublé d’un dégoût certain. Le film imbuvable, il en fallait un lors de ce festival, pour moi ce fut Tesnota.
Ensuite, plus rien de prévu avant 17h et la projection de Zombillenium. Ceci dit, la séance étant unique, et principalement à destination des enfants, je m’attends à ce que les places soient limitées et, bien qu’accessible aux badges sans invitations, je me dirige dans la file d’attente dès 16h.
Effectivement, la file prioritaire pour la presse est ratiboisée au profit d’un tapis rouge pour les bambins, et nous les voyons passer en nombre à côté de nous. Puis l’on voit passer des personnes sans badges, mais avec des invitations. Et encore d’autres… Et d’autres… Au final, alors que l’entrée était indiquée sur badge dans tous les programmes, aucune autre personne que les invités n’auront eu le droit d’entrer, malgré une heure d’attente et un festival soi-disant à destination des professionnels. Dans ce cas, autant prévoir une séance privée pour des invités triés sur le volet, ou au moins prévenir dans les programme ou en salle presse que l’accès sera difficile, voire impossible.
Si l’organisation du festival reste très fluide, la communication est encore cette année totalement à la ramasse.
Bref, du coup je patiente jusqu’à 19h30 et la séance des Proies à l’Olympia.
Et là, une heure avant, je vous le donne en mille…
Une queue monstrueuse qui fait tout le tour du pâté de maison. La file a à peine commencé à avancer que les gens de l’organisation nous prévienne, il sera impossible d’entrer à ce niveau de la file.
Décidemment, Cannes semble déçue que je parte si vite et tient à me le faire savoir.
Nouveau changement de programme, je ne sais que faire. Bien décidé à voir un film avant la dernière séance de minuit, je me rabats sur La Bataille du Rail de René Clément à Cannes Classics.
Grand bien m’en a pris, puisque je découvre une magnifique copie, restaurée mais qui a gardé son velouté, d’un film important autant pour l’histoire du Cinéma que pour l’Histoire tout court, et que je n’avais jamais vu.
Sorti au début de l’année 1946, le film a été tourné en 1945, alors que la France n’était pas totalement libérée et que la Guerre n’était pas encore terminée, et raconte les efforts de la Résistance au sein des cheminots de la SNCF pour ralentir l’armée allemande et lui mettre des bâtons dans les roues, à un moment crucial du conflit. Œuvre de fiction basée sur les (hauts) faits réels des résistants, La Bataille du Rail décrypte tous les rouages à l’œuvre sans esbroufe, dans une structure et un style quasi-documentaire. Presque logique quand on sait que le film précédent de René Clément, Ceux du rail (qui avait d’ailleurs permis au chef-opérateur Henri Alekan, alors résistant, de filmer en secret les installations de l’Axe), était un véritable documentaire sur le travail des cheminots pendant sous l’Occupation. La filiation est même assumée par le réalisateur, qui dans les premières scènes du film s’offre carrément une voix off qui commente l’action et explique ce à quoi le spectateur va assister.
Pourtant, c’est bien une œuvre de fiction qui, même si elle laisse de côté la construction classique d’une intrigue et de ses personnages, accumule les péripéties et les moments de bravoures, alors que les résistants mettent tout en œuvre pour empêcher les renforts d’arriver sur les lieux des batailles. Malgré le peu de moyens alloués à l’époque et les difficultés de tournage (on peut même clairement repérer les changements de pellicule et de défilement laissés tels quels par l’INA lors de la restauration), la Bataille du rail s’offre de vrais moments de suspens et d’action, dans lesquels Clément compense son budget par un sens du cadre et du montage sans faille. Ajoutez à cela une émotion en liseré mais bien présente, et des acteurs pour la plupart non professionnels et pourtant très convaincants, et vous avez un film non seulement très réussi, mais très important. À voir au moins une fois dans sa vie.
Enfin, après un tour au restaurant à burgers pour fêter dignement ce dernier jour, il est temps de passer à la séance de minuit, celle de The Merciless (Sans Pitié). Une séance qui a vu pour moi le seul rayon de soleil de chance de la journée. Alors que je faisais la queue avec mes congénères et que j’arrive devant le premier poste de sécurité, le vigile me demande mon invitation. Je n’en ai pas, et lui explique que la presse est autorisée. Réponse : non, personne de la presse n’a le droit de passer, d’ailleurs il n’a laissé passer personne. Donc là intérieurement je lui saute à la gorge (intérieurement hein, lui il fait deux mètres et moi je pèse 75 kilos tout mouillé), pestant encore sur la communication à l’ouest du festival, et puis je le vois sortir une invitation de sa poche, me la donner et me dire avec un petit sourire : « on vous fait une fleur, allez-y ».
Vous auriez vu les étoiles dans mes yeux… Un ecclésiastique devant un jardin d’enfants.
Bref, dernière séance de ce festival 2017 pour moi, Sans Pitié, de Sung-Hyun Byun (un drame musical et une comédie romantique jamais sortis en France à son actif), thriller à la fois mafieux et carcéral qui, si on se fie à sa bande-annonce, ne doit pas faire dans la dentelle.
Et effectivement, Sans Pitié est un film qui porte bien son nom. Violent, énergique et d’une noirceur sans nom (un thriller coréen quoi), le long-métrage sait aussi se montrer régulièrement léger et plutôt drôle, ce qui dénote un peu dans un univers cinématographique qui garde généralement un sérieux papal.
On découvre un film frais, tortueux mais jamais confus, qui navigue entre présent et passé au gré de multiples flashbacks qui ne plombent jamais le film puisqu’ils font partie intégrante de l’évolution de l’intrigue. Bourré de trouvailles scénaristiques et visuelles, de faux-semblants et de retournements de situations, Sans Pitié se trouve aussi un tempo très musical propre au Pays du Matin Calme. Si l’orgiaque The Villainness tenait du métal et de la techno, celui-là penche plus vers un rythme syncopé, entre le rock’n roll et la samba, dans son enchaînements de transitions, dans ses moments de tensions, de calme et de violence.
Dans sa peinture d’une famille de gangsters très humains dans laquelle s’infiltre un flic en passant par la case prison, Sans Pitié rappelle un peu le très bon New World, en plus enlevé cependant, et ses séquences carcérales, sur un canevas assez similaire, surpasse le récent The Prison que l’on avait vu au BIFFF.
Bref, le film parfait pour terminer le festival de Cannes dans un mélange de péripéties enthousiasmantes et de nihilisme désespéré, qui nous fait ressortir de la salle avec autant le sourire aux lèvres que la boule au ventre.
Cannes, tu m’as fait rêver, tu m’as épuisé, tu m’as transporté, parfois tu m’as fait chier, mais une chose est sûre, je serais de retour l’année prochaine.
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Corvis.