Et de quatre !
Quatre jours que je suis là, et la fatigue commence à se faire sentir. C’est que faire des aller-retours au Marché du film pour tenter de choper des invits, aller voir des films, taper des comptes rendus, ça vous épuise un homme. Surtout quand il fait aussi beau qu’aujourd’hui et que la foule se presse contre les Marches et sur les trottoirs.
Ayant réussi à me lever pas trop tard, je commence une fois n’est pas coutume au Théâtre Croisette pour une séance de la Quinzaine des réalisateurs, Mobile Homes du français expatrié Vladimir de Fontenay (aucun lien avec Geneviève, enfin je crois) emmené par la délicieuse Imogen Poots. L’histoire d’une jeune maman qui va de magouilles en magouilles avec son fils et son petit ami, laissant régulièrement l’enfant livré à lui-même, quand elle ne l’inclut pas carrément dans leurs combines illégales.
Ça, c’est pour toute la première partie du film, qui dépeint un monde interlope propre au cinéma indépendant américain, surtout quand il s’agit de faire un film social et de décrire la petite misère. Là où le cinéma français aurait plutôt tendance à faire réfléchir en pointant du doigt les failles du système, son homologue américain se préfère plus brut et émotionnel, louant la débrouillardise, et ce sentiment de liberté qui semble encore émaner aujourd’hui du Nouveau Monde. On suit avec attention les « aventures » d’Ali, Evan et Bone grâce à une caméra portée qui leur colle aux basques mais sait se faire aérienne et discrète, et une toile de fond plutôt originale : le trafic de coqs en vue de combats clandestins.
La seconde partie, elle, se penche sur l’atterrissage forcée d’Ali et son fils dans une communauté de Mobile Homes, et son potentiel de nouvelle vie pour la jeune fille. Là encore, une toile de fond assez peu utilisée au cinéma, et là encore une réalisation amoureuse de ses personnages qui n’a pas besoin de grand-chose pour les faire vivre, tout en s’autorisant de petites touches artistiques bienvenues (certains plans tout simples sont magnifiques). Là où leur vie était chaos, embrouilles et liberté, Ali et Bone vont trouver matière à un certain renouveau, la possibilité d’une existence saine et stable, et pourtant pas exempt de liberté.
Si le métrage s’essouffle un tout petit peu dans sa dernière bobine, Mobile Homes reste un film frais, touchant, subtil, qui fait la part belle à ses acteurs et aux relations qu’ils entretiennent. On en ressort le cœur serré et avec l’envie d’embrasser tout le monde (ce que je n’ai pas fait, ça risquait d’être mal vu).
Ensuite il me faut faire un choix.
Entre How to talk to girls at parties du réalisateur de Shortbus et Before we vanish de Kiyoshi Kurosawa, mon cœur balance, mais c’est finalement le réalisateur japonais qui aura mes faveurs.
À peine quelques mois après avoir présenté en France Le Secret de la Chambre Noire, le voilà qui revient donc avec un nouvel opus, qui comme à son habitude marie une certaine poésie ave un élément fantastique posé, pour un film compact et contemplatif, qui prend son temps et avance avec lenteur. Un élément qui a toujours fait partie de ses films, et qui en fait tout le sel autant qu’il peut rebuter certains spectateurs.
Pourtant, avec cette histoire décalée d’extraterrestres découvrant les concepts humains en même temps qu’ils préparent tranquillement leur invasion, il opte pour la première fois (en tout cas à ma connaissance) pour un ton léger et décalé, touchant parfois, en tout loin de la densité sombre qui fait d’ordinaire sa patte.
En réadaptant à sa sauce le concept de l’entité extra-terrestre qui prend possession des corps humains, chère à Body Snatchers et autres Hidden, il construit un très joli plaidoyer pour ce qui constitue la complexité de l’être humain, en même temps qu’il pointe du doigt notre propension à suivre un chemin tout tracé.
Nanti de beaucoup de scènes drôles, d’un peu d’action, d’une réflexion jamais imposée et même de deux très jolis plans-séquences (et oui, lui aussi), Before we vanish est un film complet qui permettra peut-être une première approche aux plus hermétiques à l’œuvre du cinéaste.
Enfin, rendez-vous un peu plus loin dans le cinéma Olympia (que je cherche désespérément pendant vingt minutes alors que je sais pertinemment où il est…) pour The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach, réalisateur de Greenberg ou Les Berkman se séparent, plus connu en France pour son travail de scénariste puisqu’il est l’homme derrière La Vie Aquatique et Fantastic Mr Fox en compagnie de Wes Anderson et… Madagascar 3.
Un film qui n’était pas forcément ma priorité, craignant le pensum lénifiant, et qui m’a principalement attiré pour son casting. Pensez-donc, Dustin Hoffman, Emma Thompson, Ben Stiller et Adam Sandler réunis devant la caméra, ça avait quelque chose de très intéressant. Grand bien m’en a pris, et je peux dire sans réfléchir que je suivrais avec attention la suite de la carrière du bonhomme, tant the Meyerowitz Stories est une comédie d’une finesse délicieuse qui, dans le soin apporté aux personnages, les dialogues ciselés, le jeu de ping-pong verbal, le soin apporté à l’ambiance musicale et le cadre new-yorkais rappelle par certains aspects le cinéma de Woody Allen.
Centré autour d’une famille dysfonctionnelle qui baigne dans l’artistique (le père est un sculpteur à la retraite qui n’a jamais connu le vrai succès, un de ses fils est un musicien au chômage et divorcé qui a abandonné son art, la petite fille, quant à elle, entre dans une Fac d’Art pleine d’espoir et de volonté…), le film se joue des classiques règlements de compte un peu intellectualisant pour brasser avec subtilité beaucoup de thèmes forts. La nostalgie du temps passé, les regrets, la frustration de l’artiste restée dans l’ombre, et une certaine mélancolie de la vie.
Construit en chapitres centrés sur autant de personnages du film ou d’événements en particulier, il réussit par petites touches et avec beaucoup d’humour à décrypter les relations familiales dans toute leur complexité et leur humanité. On sent un amour profond pour ses personnages dans le scénario et la réalisation de Baumbach, et il s’en dégage une véritable émotion, sans pour autant oublier d’être toujours drôle et parfois un peu décalé. En ce sens, The Meyerowitz Stories ressemble un peu à une version sobre des films de son compère Anderson, la Famille Tennebaum en tête (déjà avec Ben Stiller).
Quant aux acteurs d’ailleurs, si on a pris l’habitude de voir Ben Stiller dans des rôles plus denses et subtils, loin de son image habituelle de gaffeur neuneu, ce qui lui réussit très bien, il est en revanche plus rare de découvrir Adam Sandler de cette manière, lui qui, en dehors de films tellement codifiés qu’ils sont devenus une marque déposée d’ « Adam Sandler movies », n’avait peu ou prou brillé que dans Funny People (et encore, quelque part dans son propre rôle) et le Punch Drunk Love de l’autre Anderson. Il trouve peut-être ici le rôle de sa vie, et prouve qu’il est un véritable acteur complet qu’on aimerait voir plus souvent dans ce genre de film.
Enfin, Emma Thompson en alcoolique baba cool est impériale comme à son habitude, et Dustin Hoffman confirme qu’il devient de plus en plus pointu dans ses choix d’acteur avec l’âge, là où certains comme Robert De Niro s’engouffre dans la série de troisième zone et la gaudriole facile avec un entrain qui frôle le gâtisme.
Sur ce, je vous laisse, une belle journée m’attend encore aujourd’hui, Cannes nous prépare entre autres le nouveau film du réalisateur de The Lobster, le nouveau Mickael Haneke, ou encore la suite d’Une Vérité qui dérange.
Quant à mon programme aujourd’hui, je vais essayer de rentrer à la projo de Salty, le dernier film de Simon West, au Marché du film, puis direction Un Certain Regard pour Wind River, du scénariste de Sicario et Comancheria, je vais tenter Shockwave que j’avais raté jeudi, et enfin enchaîner une vérité qui dérange et le thriller coréen The Villainess qui s’annonce corsé.
Wish me luck !
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Par Corvis