Deuxième jour à Bruxelles, et cette fois on peut dire que le festival a définitivement démarré. La bière coule à flot, le public est là en masse, et la screening room de la salle presse a ouvert. Je vais pouvoir y découvrir les films que je n’aurais pas l’occasion de voir dans les salles du festival. Car avec ses 12 jours bien remplis, celui-ci est un des plus longs du genre, mais cette année je ne peux être là que cinq petits jours. Il va donc falloir jongler entre salle presse et salles de ciné, et faire des choix. Depuis son arrivée au Bozar, le BIFFF a troqué sa salle unique pour deux salles en simultanées (voire trois avec les rétros et les séances spéciales, comme Late Shift, le premier film interactif aux nombreux points de changement et aux 7 fins différentes), et certains des films qui ont titillé mon intérêt passent en même temps.
Aujourd’hui, je démarre donc la journée devant un ordinateur, le casque sur les oreilles, pour découvrir une première mondiale qui passera le soir même en même temps que le nouveau Ben Wheatley (du coup le choix est vite fait) : Escape Room.
Oui, vous avez juste, le titre n’est pas trompeur, les amateurs d’énigmes et de puzzles les connaissent bien, les Escape Room sont des jeux grandeur nature et en temps réel où vous vous retrouvez enfermés dans une pièce et devez résoudre logogriphe et devinettes pour en sortir. Le tout dans le délai imparti d’une heure. C’est déjà pas bien facile habituellement, mais ça se complique exponentiellement quand un démon libéré d’une boite prend possession du figurant qui jouait un psychopathe enchaîné, et transforme le jeu d’évasion grandeur nature en lutte pour sa survie.
On aurait pu espérer qu’Escape Room révolutionne ce genre de concept, ce n’est pas le cas. On reste sereinement dans des rails assez linéaires, avec des énigmes pas si tordues, et même plutôt limpides (surtout pour une escape room). Ceci dit, le premier film du vétéran du court Peter Dukes a le bon goût de ne pas tomber dans le catalogue de jeux gores façon torture porn, et se suit du début à la fin avec un réel intérêt, l’ambiance oppressante de la situation étant fort bien rendue.
On ne s’ennuie pas une seconde (et après la catastrophe Beyond the Gates, c’est rafraichissant), les personnages sont immédiatement attachants, et leurs réactions plutôt crédibles, la réalisation est très propre, et même plutôt pertinente dans sa façon de switcher entre la tension brutale de l’intérieur de la pièce, et celle froide de l’extérieur, comme le gérant de l’Escape Room, n’ayant plus de visibilité après l’arrachage de la caméra par le méchant, hésite à stopper la partie et risquer de mettre la clé sous la porte en cas de mauvaise review.
Un gérant interprété par un Skeet Ulrich toujours vivant (mais en mauvais état à en voir sa tronche cernée de partout) et qui a acquis un sacré charisme en prenant de la bouteille. Sa scène en tête à tête avec l’autre vétérane Sean Young (Blade Runner, Dune, Ace Ventura) en antiquaire mystérieuse est un beau moment de cinéma tout simple.
Avec ses multiples références au cinéma de genre (parfois un poil trop prononcées, mais mieux vaut trop que pas assez), son ton sérieux, son ambiance oppressante et sa structure solide, Escape Room est une sacrée bonne péloche qui aurait pu aller plus loin, mais qui va vous faire réfléchir à deux fois avant d’aller vous faire enfermer dans une pièce pendant une heure.
Deuxième film au programme (en désespoir de cause alors que je voulais découvrir Operation Mekong, le nouveau Dante Lam, qui n’est finalement pas dispo en salle presse), Re : Born, un film bourrin japonais dans toute sa splendeur avec Tak Sakaguchi, qui déjà s’était fait connaître avec l’impayable et testostéroné Versus, l’ultime guerrier.
Ne cherchez pas de récit touffu ou même structuré, cette sorte de Jason Re : Bourne à la sauce nippone s’en tient du début à la fin à son fil rouge : Quand on vient lui chercher des noises à lui et la gamine qu’il a pris sous son aile, un ancien des Forces Spéciales japonais (si spécial qu’il est même capable d’esquiver les balles) reprend du service et pète des nez à longueur de bobines.
C’est simple, si l’on excepte un sens de l’émotion et de l’emphase propre au cinéma du Soleil Levant (qui peut faire grincer des dents mais prouve au moins une volonté de ton propre), Re : Born n’est qu’une accumulation de bastons sèches et brutales qui envoie le héros tout seul ou presque à l’assaut de régiments entiers, tel un John Matrix d’Extrême Orient. Ou plutôt un Steven Seagal, période saumon agile plus que panda bourré. On retrouve chez Tak le même faciès monolithique, la même science des moulinets, et la même propension à casser des bras et à trancher des gorges par paquet de douze.
Voilà, en gros, pour bien décrire Re :Born, disons que c’est un peu l’équivalent des Justice sauvage et autres Piège en haute mer, qui pullulaient à l’époque où Steven était en haut de l’affiche, l’emphase et le sens de la choré asiatiques en plus.
Un plaisir, certes un peu coupable, comme on se rend bien compte que le film ne vole pas très haut, mais qu’on aurait tort de dénigrer, tant Re :Born est finalement plutôt humble, fortement jouissif, et ne ment jamais sur la marchandise (les dernières 45 minutes de films sont uniquement constituées de distributions de mandales jamais redondantes).
Bref, on ressort de là avec la furieuse envie de taper sur tout ce qui bouge (mais on le fait pas, parce que, quand même, ils sont gentils les belges).
À peine le temps de mater le début de Tonight she comes (un film d’horreur qui s’annonce complètement fou, mais on en parle demain quand je l’aurai fini), et il est l’heure d’étrenner la salle 1 pour cette année, avec une valeur sûre depuis quelques années (surtout au BIFFF), le thriller hispanique.
Souvent dense, sans concession, avec une ambiance incroyable et un sous-texte pertinent, les films espagnols, mexicains ou argentins font les beaux jours du festival, et The Invisible Guest (Contratiempo dans la langue de Cervantès), le second film d’Oriol Paulo après les Yeux de Julia continue la série avec talent et élégance. Ici, il confronte un jeune PDG accusé du meurtre de sa maîtresse et qui clame son innocence, à une avocate venue l’aider à tout mettre dans l’ordre en vue du procès qu’elle compte bien gagner, vu qu’elle prend sa retraite le jour même.
À mi-chemin entre huis-clos et flashbacks qui reconstituent le puzzle, The Invisible Guest déroule d’abord une intrigue intéressante mais plutôt classique et linéaire, alors qu’on nous annonçait une « accumulation de faux-semblants ». Avec les questions pressantes de l’avocate, Adrian est forcé de raconter ce qui l’a mené initialement à être seul dans une chambre d’hôtel avec la victime, et le film prend de allures de Souviens-toi l’été dernier avec cet accident mortel dissimulé qui semble leur être retombé sur le coin du museau.
Pourtant, plus le film avance, plus le scénario devient retors, à mesure que les différentes versions des flashbacks s’enchaînent, et qu’on ne sait plus vraiment faire la part des choses entre vérité, mensonges, et théories. Là, avec tous ses changements de direction et ses possibilités de résolution, The Invisible Guest devient véritablement passionnant. On ne sait plus qui croire, qui joue double-jeu, qui est la victime et qui est le bourreau, tant les informations contradictoires s’accumulent, jusqu’à (forcément) un coup de théâtre final qui remet tout le film en perspective, tout en se payant le luxe (alors qu’on avait effectivement tous les indices nécessaires) de nous surprendre par son concept.
Vraiment, The Invisible Guest est bien la preuve qu’après s’être fourvoyé dans la quasi auto-parodie avec son cinéma d’horreur, l’Espagne revient depuis quelques années par la porte du polar, et c’est tant mieux.
Vient enfin LA séance attendu de cette journée, un film qu’on attendait pas (enfin pas pour ma part), et qui fait saliver rien que par son casting et son concept : Free Fire de Ben Wheatley. À peine remis de son High Rise conceptuel qu’il revient par la grande porte avec un film d’action pétaradant, véritable gourmandise joviale dont le scénario tient sur un coin de table et qui préfère trouver toutes les manières les plus intéressantes et fun de défourailler plutôt que de construire une histoire compliquée. À mi-chemin entre un Tarantino période Reservoir Dogs et le Guy Ritchie des débuts, il réunit pas moins que Sharlto Copley, Cillian Murphy, Armie Hammer, Brie Larson, Sam Riley ou encore Noah Taylor dans un hangar à l’abandon en 1978, pour une vente d’armes qui tourne mal et va transformer l’entrepôt en zone de guerre pour grandes gueules énervées.
Avec ses camés en roue libre, ses teubés en costard de couleur et ses anglais vanneurs, Wheatley s’amuse autant avec les échanges verbaux que les échanges de tirs, et crée quelque part un nouveau concept, le film d’action statique. Pas de chorégraphie virevoltante à la John Woo ou de déluge de pyrotechnie ici, les protagonistes sont coincés derrière des éléments de décors, se tire dessus au petit bonheur la chance (et parfois au hasard), se blesse par petit bout, tout le monde rampe au sol ou galère à changer de place, on se fout de la gueule les uns des autres plus qu’on ne se colle des bastos (tant qu’on a finalement l’impression qu’ils ne s’en veulent pas tellement et ne cherchent pas vraiment à s’entretuer), et quand le film balance ce qui ressemble le plus à une poursuite en voiture, c’est au pas !
Bref, un beau bordel organisé par Ben Wheatley, qui avec sa gestion de l’espace impeccable, son sens du renouvellement, son Sharlto Copley on fire, son Armie Hammer barbu pince-sans-rire ultra classe ou encore son Sam Riley en camé débile qui trouve là le rôle de sa vie, nous offre une pépite d’humour noir explosive, absolument hilarante et finalement plutôt originale.
De quoi bien finir la soirée avant une grosse journée screening room demain.
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Par Corvis