Plus les jours passent et moins je vois de films.
Vous allez commencer à vous dire « nan mais oh, ça va, il se la coule douce lui, il est payé à rien foutre ou quoi ? »
Je vous répondrais que déjà vous allez me parler meilleur, on n’a pas élevé les Shoggoths ensemble, ensuite que de toute façon je suis pas payé, c’est pour l’amour de l’art.
Enfin que le festival dure justement 8 jours cette pour permettre non seulement de proposer plus de films, mais aussi de pouvoir les étaler sur toute une semaine.
Du coup, certains jours, il y en a beaucoup moins. Et quelque part c’est reposant, le rythme stakhanoviste façon BIFFF avec 6 films par jour, c’est plus de mon âge.
Aujourd’hui donc, allais-je dire avant d’être assez grossièrement interrompu par moi-même (mais comme je suis un garçon délicieux je me pardonne), il n’y avait que deux films au programme, et pas n’importe lesquels puisque nous avons eu droit à une soirée spéciale Frank Henenlotter.
On a pu tout d’abord découvrir son avant-dernier film, l’inédit Chasing Bansky, toujours avec Anthony Sneed, puis se délecter de ce qui est certainement son opus le plus célèbre, Elmer le remue-méninges (Brain Damage), son deuxième film, 6 ans après Frères de sang.
Comme Henenlotter l’a dit lui-même lors de la présentation, ce film tiré d’une histoire vraie est à des années-lumière de son travail habituel. Une comédie pur jus qui, s’il n’y avait pas eu une courte scène de fellation dans les toilettes et de la nudité féminine volontaire (l’honneur est sauf), aurait pu être réalisé par un réalisateur habitué du cinéma grand public et projeté au cinéma un peu partout.
Tout a commencé en 2008, lorsque le célèbre street-artist Banksy expose des toiles éphémères sous forme de pochoirs sur les murs des maisons de la Nouvelle-Orléans, pour le troisième anniversaire du passage de Katrina. Anthony Sneed, fan de l’artiste, décide sur un coup de tête et de littéralement voler un pan de mur avec une œuvre de Banksy. Une situation si improbable qu’il appelle immédiatement Frank Hennelotter (avec qui il est devenu ami depuis Sex Addict) pour lui dire « on dirait pas une scène tout droit sortie d’un film de braquage chelou » ?
Chasing Banksy était né.
De ce fait divers, le réalisateur a tiré un long-métrage étonnant, sans cesse en mouvement, sans cesse changeant (on a d’ailleurs appris que nous serions les derniers à voir cette version avant que le film soit retouché, légèrement remonté et raccourci, et la musique modifiée), calme et posé, sans une once de gore ou d’humour noir, bref l’antithèse de son cinéma habituel. Et pourtant, visuellement, ce film attachant et reposant porte tout de même la marque de son auteur dans sa réalisation et son montage.
Pour donner du punch à la simplicité presque linéaire de son scénario, Frank Henenlotter expérimente, utilise du 8mm pour visualiser l’ambiance de Brooklyn, de la gopro pour une séquence de course-poursuite hilarante, s’essaye à l’animation, au collage et la stop-motion enfantine, trouve des astuces de montage et plonge dans un univers onirique au détour de quelques plans, le tout avec la plupart du temps un caméra portée fluide. Bref, le trublion responsable des splatters irrévérencieux Basket Case et Sex Addict semble s’être métamorphosé en réalisateur de film indépendant new-yorkais.
Et ça lui va plutôt bien !
Le film est très agréable à suivre (même s’il mérite, comme l’a annoncé Henenlotter, 5 à 7 minutes de coupes pour accélérer le propos), s’assure quelques passages un peu grinçants typiques du réalisateur, et se permet même de faire réfléchir en douceur sur la notion d’art, son but, son appropriation par le public, tout en se moquant au passage de l’art contemporain hipster et des bobos superficiels qui le constituent en partie.
Parfait pour commencer la soirée, en espérant voir un de ces jours atterrir un dvd en Europe.
Pour la deuxième partie de soirée, c’est une version française d’époque en 35mm d’Elmer le remue-méninge qui nous est proposée. Une copie délicieusement griffée par le temps, pour un doublage infâme et pourtant rigolo (il faut entendre la petite amie du héros s’écrier « on s’est fait de la bile pour toi ! » Ahhhh les années 80), bref de quoi découvrir dans les meilleures conditions, d’une certaine façon, cette œuvre culte, preuve supplémentaire du style Henenlotter bien particulier.
Car oui, figurez-vous, encore une de mes nombreuses lacunes, je n’avais jamais vu ce film, et c’est avec joie que je le découvre sur grand écran. Dès les premières minutes, le ton est donné : Brian se réveille complètement engourdi, bizarre, du sang sur la nuque, et commence à avoir des hallucinations visuelles. Pas étonnant, Elmer une créature antédiluvienne phallique et bavarde a décidé de prendre ses quartiers sous le pull du jeune, le pourvoyant en substance bleuâtre directement injectée dans le cerveau pourvu qu’il lui permette de se délecter de cerveaux bien frais.
Un point de départ complètement barré, encore une fois, pour un film qui ne respecte pas grand-chose à par lui-même (et encore, le métrage finissant comme d’habitude chez Henenlotter par une pirouette sans explication), gore, crade, drôle, mais pas que.
Derrière le vernis dégeu à base de cervelles arrachées par la bouche, de delirium tremens et de déluge de sang, se cache bien évidemment une métaphore féroce de la drogue et de l’addiction, Brian se comportant comme un drogué en manque qui a besoin d’Elmer pour survivre, quelles que soient les conséquences (un concept que l’on retrouve de manière inversée dans Sex Addict, où c’est la créature qui est droguée, même si c’est toujours le héros qui en subit les conséquences).
On peut même imaginer que la métaphore va plus loin, et que tout le film n’est que l’immense représentation visuelle de l’horreur de la drogue, qu’Elmer (que seul Brian semble entendre parler) n’existe pas, et que c’est le héros, en plein trip frénétique, qui tue, viole (une séquence de fellation forcée aussi drôle que glauque qui rappelerait presque le récent Killer Joe de William Friedkin) et mutile ses victimes (sans doute pour se payer sa prochaine dose).
Finalement, sous des dehors de série B gore sans prétention et sans pudeur, Elmer le remue-méninge cache une véritable diatribe contre les substances illicites et leurs dangers, pour soi-même comme pour son entourage. Porté par le design adorablement répugnant de Gabe Bartalos et David Kindlon pour la créature et quelques effets visuels bizarroïdes, on peut même commencer à y déceler un fil conducteur thématiques dans la filmographie d’Henenlotter, tant les similitudes avec Frères de sang ou Sex Addict sont grandes. Un mélange de chair, de corps mutants, de transformations, mais aussi de sexualité et de sensualité morbide qui ferait presque de lui une sorte de David Cronenberg des contre-allées new-yorkaises.
De quoi bien finir la soirée avant une possible interview du bonhomme demain (je croise les doigts) (et tout ce qui dépasse tant qu’à faire)(ça dépasse largement de toute façon)(Ah mais non, c’est pas à moi ça)(qu’est-ce que c’est que ce traaAAAAAAHHHH !!!).
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Par Corvis