Qu’il est dur le réveil, quand on a dormi six heures pour vous écrire un compte-rendu.
Il faut se forcer, ramper hors du lit et aller prendre une douche.
Heureusement, on sait pourquoi on se lève, et je sais que c’est une nouvelle journée de films à découvrir qui s’annonce.
Et alors qu’hier la plupart des films m’étaient totalement inconnus (personne n’est parfait), aujourd’hui je vais pouvoir découvrir, en 35 mm et sur grand écran, des films cultes que je n’avais jamais pris l’occasion de voir (personne n’est parfait bis).
C’est donc la tête profondément plantée dans un endroit où, sauf erreur de ma part, le soleil ne brille jamais, que je pénètre dans la grande salle de la Cinémathèque, prêt à prendre part à la Chasse du Comte Zaroff qu’Ernest Schoedsack réalisa en 1930, en même temps que son célèbre King-Kong, et d’ailleurs en réutilisant les mêmes décors de jungle, et la même actrice principale Fay Wray. Un film extrêmement court (à peine plus d’une heure) qui va droit au but et nous présente sa situation initiale en un temps record avant de peu à peu instaurer le malaise avec l’apparition de l’étrange comte Zaroff, puis balancer ses cartouches in fine dans les 25 dernières minutes lors de la chasse proprement dite, minimaliste (budget et moyens de l’époque obligent) mais efficace.
Œuvre séminale d’un certain cinéma de genre, précurseur du survival et de l’humain vu comme proie ou comme nourriture, bien avant les Sans retour et autre Massacre à la tronçonneuse, La Chasse du Comte Zaroff est un de ces films initiateurs qui n’ont pas pris une ride.
Bien sûr, les maquettes et autres sur-impositions d’images sont visibles, et les chorégraphies de combat très théâtrales prêtent à sourire, mais le film dans son ensemble vieillit bien mieux que des pelloches plus récentes nanties de CGI baveux et de montage surdécoupé. Le Cinéma n’avait alors qu’une trentaine d’année, et Schoedsack faisait partie de cette génération qui se basait sur les acquis du théâtre (histoire solide, acteurs mis en valeur, mise en scène étudiée) tout utilisant avec parcimonie et efficacité les moyens mis à disposition par ce nouveau medium.
Que ce soit par le très léger tangage de la caméra sur une scène statique pour simuler un bateau voguant sur les flots, ou encore par quelque vues subjectives qui mettent en valeur la fuite des héros en pleine jungle, The Most Dangerous Game est un bel exemple de la supériorité du talent sur les innovations techniques.
Après ça, et pour une fois depuis le début du festival, il me reste une heure avant le film suivant. De quoi se poser tranquillement, se balader dans le hall et jeter un œil sur l’exposition qui le décore, les livres et les dvds mis en vente (dont pas mal de pépites qui collent parfaitement à l’esprit du festival, par exemple Le Père Noêl contre les Martiens).
Et puis nous revoilà dans la salle 1 pour découvrir, dans une copie 35 mm d’origine assez abîmée nous dit-on, Histoire de Fantômes Chinois de Ching Siu-Tung.
Cette production Tsui Hark (d’ailleurs beaucoup pensent à tort que le film est réalisé par le créateur de Zu), qui vit le jour pendant la période dorée du cinéma de Hong-Kong, est considéré comme un condensé du cinéma fou et exubérant de la colonie britannique, empruntant autant à sa propre mythologie qu’au cinéma énergique d’un Sam Raimi première époque (montage haché et travellings subjectifs virevoltants compris).
Un film culte donc, qui eut droit à deux suites, trois remakes (dont un en animation réalisé par Tsui Hark lui-même en 1997), et même une sorte de saga dissidente plus ou moins parodique et éminemment érotique : Erotic Ghost Story.
Pourtant, je ne sais si c’est le manque de sommeil qui provoquait un assoupissement involontaire et une difficulté d’attention, mais impossible de vraiment s’impliquer dans le métrage. Cette histoire d’inspecteur des impôts maladroit rencontrant une jolie fantôme liée à un arbre-démon (si si) ne manque pourtant pas de trouvailles visuelles, mais l’alternance d’une romance molle avec des séquences épuisantes d’énergie, parfois hallucinées, s’avère à la fois engourdissant et très fatigante pour les yeux.
L’humour y est potache et pas désagréable, les scènes horrifiques mélangent éléments de manga live (moine taoiste comme fantômes volent et lancent des boules de feu) et un sens de l’image système D que n’aurait effectivement pas renié le papa de Ash, donnant souvent au film des airs d’Evil Dead chinois light, mais Histoire de fantômes chinois souffrent d’un rythme peut-être trop trépidant pour son propre bien, d’un trop plein d’idées, de folie et de frénésie qui le rendent un peu bancal et éreintant.
On en ressort avec les yeux qui piquent et au bord du mal de crâne, avec l’impression d’avoir expérimenté un rollercoaster qui se repose un peu trop sur la virulence de ses sensations (j’ai connu des exs comme ça aussi).
Pourtant, on est obligé d’avouer que Tsui Hark et son équipe ne reculent devant rien, et peuvent nous sortir du chapeau des plans dantesques, des mort-vivants animés en stop motion (sans avoir jamais appris la technique), ou un combat contre une langue démesurée qui attaque une cabane comme un serpent gluant et s’entortille autour des héros (encore une fois, une scène dont aurait rêvé Sam Raimi). Jusqu’au 15 dernières minutes complètement folles sans aucune respiration, qui envoient carrément nos héros dans une vision de l’enfer glaciale pour un combat échevelé.
Même pas le temps de souffler après ça, de se remettre de ses émotions, à peine le temps d’ingurgiter une prune et de boire un peu de jus de pamplemousse (oui, je raconte ma vie, je fais ce que je veux, c’est ma chronique), et on est reparti pour un gros morceau, l’Inglorious Bastards d’Enzo Castellari, initialement obscure série B bourrine des années 70 surfant sur le succès des films de commandos (et des 12 salopards en particulier), remis au goût du jour grâce à Tarantino et son Inglorious Basterds.
Qu’on se mette d’accord tout de suite, non, à part quelques clins d’œil (comme l’accoutrement de Brad Pitt similaire à celui de Bo Svenson) et le fait qu’il s’agisse plus ou moins d’un film de commando se déroulant en France pendant la Seconde Guerre Mondiale, le long-métrage de QT n’a rien à voir avec Une Poignée de salopards (le titre français encore plus roublard), et n’en constitue certainement pas un plagiat déguisé.
Au mieux, il aurait presque (et je dis presque pour ne rien dévoiler du Castellari) pu en être une suite, et une nouvelle aventure du groupe de trognes joviales qui flinguent du boche entre deux vannes.
Car contrairement au bavard et autosatisfait Inglorious BastErds, Une Poignée de salopards est un ride sans prétention qui se veut jouissif et fun, entièrement dévoué au divertissement du public. Un casting d’habitué du grindhouse et de la série B (Bo Svenson, Fred Williamson, Peter Hooten le premier Dr Strange, et une guest star de marque en la présence de Michel Constantin), d’ailleurs emmené au sommet par un doublage aux petits oignons ( on y retrouve Jacques Balutin, Gérard Hernandez, Marc François alias Rick Moranis dans SOS Fantômes et Needles dans Retour vers le futur, et même Jean-Claude Michel, voix française fort reconnaissable de Sean Connery), pour une histoire joyeusement débile et ludiquement violente qui commence comme un 7ème Compagnie américain pour se transformer peu à peu en commando suicide de salauds au grand cœur qui auraient des leçons à donner, au hasard aux récents clowns de David Ayer.
Avec ses décors variés (cimetière de véhicules, village dévasté, château occupé par ls nazis…), ses nombreuses fusillades , parfois dans une joli caméra portée, ses scènes comiques bordéliques tout droit sortis d’une comédie bordélique italienne façon La Toubib du régiment (mention spéciale à l’attaque des naziettes à poil) et ses trucages délicieusement surannés (reconstruire une gare en maquette pour la faire péter, c’est toujours un plaisir), Une poignée de salopards est vraiment un fleuron du film d’exploitation, un de ces films qui donnent la banane et nous font écarquiller les yeux, malgré une copie très fatiguée qui gratte et qui saute régulièrement, et l’absence de sous-titres pendant les passages en allemand (et autant en anglais j’ai aucun soucis, autant mon germain est rouillé).
Après ça, j’étais d’attaque, et remotivé pour n’importe quel film, et heureusement, Dieu soit en location, car pour finir la journée les zozos d’Extrême Cinéma ont eu la bonne idée de nous diffuser un film dont je n’avais jamais entendu parlé (malgré les présences de Sidney Lumet derrière la caméra et de Sean Connery devant), l’utra sombre, glauque et dépressif The Offence. Produit comme condition au retour de Connery dans la peau de James Bond dans Les Diamants sont éternels, The Offence a fait un tel four que le second film prévu par ce deal (une adaptation de Macbeth) n’a jamais vu le jour.
Et on peut le comprendre au vu, et malgré les immenses qualités du métrage, de la noirceur désespérée du film, qui demande un réel effort d’attention et un inconfortable laisser-aller de la part du spectateur.
Chronique minimaliste d’un inspecteur qui flanche, persuadé de tenir enfin le violeur de petites filles qui lui échappe et littéralement traumatisé par les 20 ans passés à ramasser des cadavres, The Offence aurait aussi bien pu s’appeler Hommes au bord de la crise de nerfs.
Après 40 minutes « d’introduction » policière qui voient les flics mener l’enquête, subir une nouvelle attaque du maniaque sans pouvoir rien faire et attraper enfin un suspect potentiel, le film ne se constitue en tout et pour tout que de trois scènes de face à face d’au moins 20 minutes chacune. Trois scènes qui placent le héros fatigué tour à tour face à sa femme, son supérieur, et le probable criminel, et qui montre les failles de l’esprit humain sans jamais vraiment donner de solution, ni à la thématique de cette situation qui hante les esprits, ni à l’intrigue en elle-même, donnant rapidement l’impression au spectateur de suffoquer, de se noyer dans cet océan de remords, de regrets et de tensions qui hésitent à se relâcher.
Un film très difficile d’accès, qui flirte tellement avec la pure chronique sociale qu’on a presque du mal à comprendre ce qui a poussé l’équipe à le programmer, et qui pourra en laisser certains sur le carreau tant il est dense et dur.
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Sacré film pour finir la soirée, je n’ai même pas eu le cœur d’écrire ce compte-rendu, et c’est donc 3à minutes avant la première séance d’aujourd’hui que je finis cette bafouille un peu en catastrophe.
Je vous laisse, l’enfer m’attend (littéralement, l’Enfer de Nobuo Nakagawa).
Par Corvis