octobre 1, 2023

Extreme Cinema for Extreme People – Jour 1

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Ahhhh Toulouse…

Sa Garonne, son Claude Nougaro, sa saucisse…

Son festival de cinéma de genre incroyablement trash et touffu.

Car chaque année depuis maintenant 18 ans, vers la fin Octobre, début Novembre, la ville rose devient rouge sang, et accueille une foule bigarrée de cinéphiles plus ou moins déviants qui pendant 5 jours vont bouffer du rare, de l’inédit, de l’invité, et surtout un maximum de rétrospectives de derrière les fagots.

Enfin jusqu’à maintenant.

Car si les joyeux trublions que sont Franck Lubet et le Professeur Thibaut (grands manitous du festival) ont préféré mettre la pédale douce sur les inédits/avant-premières et abandonner le principe de thème annuel au profit de binômes thématiques, la durée d’Extrême Cinéma passe cette année de 5 à 8 jours, pour le plus grand plaisir des spectateurs qui vont pouvoir découvrir encore plus de raretés et redécouvrir encore plus de films cultes sur grand écrans.

Cette année au programme, en plus de la présence de Frank Henenlotter (venu présenter les ¾ de sa filmographie, dont le tout dernier et mystérieux Rough Cut) et de l’enfant du pays Eric Valette (pour une soirée Carte Blanche -ou plutôt Carte Noire- avec du western désespéré et du polar anglais bin glauque), on aura droit à du « Women In Prison », du film de commando, du splatter-movie, du survival, du boogeyman, de l’actioner (dé)bridé, du vigilante et même du porno, de quoi ravir les amateurs de cinéma d’exploitation !

Quant aux réalisateurs des dits-films, ce n’est pas le fond de poubelle qu’on nous propose mais plutôt le gratin, puisqu’on y trouve pêle-mêle André de Toth (la chevauchée des bannis, l’Homme au masque de cire), Jonathan Demme (Le Silence des Agneaux), Michael Winner (Un Justicier dans la ville), Michael Apted (Gorilles dans la brume), Ernest B. Schoedsack (King-Kong), Enzo Castellari, Sidney Lumet, Jess Franco, Victor Salva, John Woo, Bernard Rose, bref, moi qui était déjà venu plusieurs années depuis 2011 (j’avais d’ailleurs rapporté des images qu’on vous dévoilera d’ici la fin du festival), je salivais d’avance à l’idée de retrouver les fauteuils de la Cinémathèque.

 

Je vous épargnerai mes aventures habituelles de gros poissard (ça va mieux en ce moment si vous voulez savoir), mais sachez que j’ai bien failli rater le début de la première séance faute de place dans les racks à vélib.

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C’est donc in extremis que je me faufile dans la salle 2 pour la projection d’Enfants de salauds (Play Dirty), le dernier film officiel d’André de Toth, qui voit un Michael Caine dans la fleur de l’âge prendre la tête d’un commando presque suicide avec pour mission de plastiquer un dépôt de carburant allemand dans l’Afrique du Nord de la Seconde Guerre Mondiale. André de Toth, on le connaît pour être un cinéaste à la violence aussi sèche que sa réalisation, constamment dans l’économie de moyens au profit de l’efficacité, et on le constate très rapidement.

Passé les quinze premières minutes, plus de musique (si ce n’est la radio du commando qui diffuse de la musique italienne pour les faire passer pour des soldats de l’Axe), peu d véritable action, mais de nombreuses scènes à suspens qui font monter la tension en prenant leur temps.

En ce sens, Enfants de salauds, c’est du cinéma de l’attente, une accumulation de séquences où l’on craint plus qu’on ne subit, et où le potentiel feu de l’action est sans cesse contrarié par un statisme imposé (qui par extension est extrêmement rude pour les nerfs du spectateur).

En faisant plus de son film une odyssée linéaire d’un point A à un point B qu’un réel film d’infiltration pétaradant, André de Toth pose déjà les bases, presque dix ans avant et sans le savoir, du futur Convoi de la peur de William Friedkin. Les mêmes passages lancinants, les mêmes longues scènes, éprouvantes, qui n’en finissent pas et donne l’impression que le groupe n’arrivera jamais au bout de ses peines, à force de collines à gravir, de tempêtes de sable, de champs de mines et autres pièges retors.

Dans son accumulation de paliers de difficultés et de nouvelles embûches, il préfigurerait presque les futurs jeux vidéo et leurs menaces précises qui changent suivant le niveau à passer, avant l’inévitable confrontation final).

Et dans ses thématiques, Enfants de salaud porte bien son nom original, puisqu’il semble n’y avoir point de salut pour l’âme des soldats, condamnés à se perdre dans la violence et le déshonneur des combats, jusqu’à un épilogue qui semble à deux doigts de citer… La Nuit des morts-vivants de Romero !

Bref, une superbe découverte pour se mettre dans le bain du festival.

 

À peine le temps de courir acheter un sandwich pour rattraper le repas de midi raté faute de temps, que nous voilà de retour dans la minuscule et si confortable salle 2, cette fois-ci pour découvrir un pur produit du cinéma Grindhouse, tout droit sorti de l’écurie Roger Corman, 5 femmes à abattre (Caged Heat). Un fleuron du WIP (genre ultra-précis du film de prison de femmes) que l’on doit à un tout jeune Jonathan Demme recruté à la sortie de l’école par tonton Corman.

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Tout premier film du réalisateur de Philadelphia, 5 femmes à abattre montre déjà le talent d’un cinéaste qui arrive à se défaire d’un budget qu’on imagine riquiqui, et d’un sujet qu’on imagine très codifié (les mauvais – et malheureusement les plus nombreux – des WIP étant connu pour leur vision de la femme à la frontière de la misogynie) pour en faire une vraie petite série B bourrée d’énergie, constamment nappée d’un second degré satirique du plus bel effet, et jamais à court d’idées pour relancer l’intérêt de l’intrigue, utilisant les passages obligés comme vecteurs d’un scénario plus alambiqué.

Et presque féministe ! Bien sûr on ne coupe pas aux stéréotypes de ce genre de films, boobs à tous les étages, scènes de douche et mat(r)onne sadique, mais il souffle derrière un certain vent de liberté pour les héroïnes du film, constamment obligé d’imposer leur féminité indépendante face à des mégères frustrées et des machos libidineux (en témoigne le sort réservé aux personnages masculins, tous des imbéciles obsédés ou des niais à mener par le bout du nez).

Au-delà de ça, Demme parvient malgré l’étroitesse du budget à shooter un tas de scènes qui impriment la rétine, que ce soit les rêves dérangés des pensionnaires de la prison (dont celui de la super-intendante Barbara Steele) ou la violence sèche des fusillades qui (encore une fois) confrontent exclusivement les héroïnes à leurs homologues masculins.

Ajoutez à cela un doublage français des années 70 délicieusement suranné dans lequel on peut entendre des expressions aussi improbables que « faut pas se mettre la rate au court-bouillon », et vous aurez une démonstration parfaite à la fois de la méthode Roger Corman, et des prémisses d’un réalisateur qui a depuis largement fait parler de lui.

 

Après tout cela commençait la soirée « Carte Noire » à Eric Valette, qui nous a dégotté deux perles rares, elles-mêmes dénichées en copie 35mm VF par Julie, la spécialiste au sein de l’équipe du festival, le western L’Homme de la Loi de Michael Winner (qui n’est pas que le meilleur pote de Charles Bronson, mais aussi le réalisateur de jolie pépites comme La Sentinelle des maudits, Scorpio ou le Grand Sommeil), et le polar Le Piège infernal de Michael Apted, avec Stacy Keach (futur Mike Hammer de la télévision et terrifiant néonazi d’American History X).

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Et avec l’Homme de la Loi, c’est la découverte pour moi d’un uppercut au foie qui m’était totalement inconnu. Et si j’en crois sa démythification en règle de la figure du cowboy et de la conquête d l’Ouest (à une époque où le western crépusculaire commençait à dévorer le genre), un procédé par toujours apprécié du public américain, il se peut qu’un succès modeste à l’époque de sa sortie en soit la cause.

Eric Valette nous a prévenu en présentant le film, L’Homme de la Loi a la particularité de ne pas avoir de méchants, seulement des personnages qui se retrouvent au mauvais endroit, au mauvais moment. Bien sûr il y a opposition d’idées, duels, et donc antagonistes, mais l’expression « personne n’est totalement bon ni totalement mauvais » a rarement été aussi pertinente. Il ne s’agit qu’une accumulation de hasards malheureux et de mauvaises décisions qui entraîne une spirale de violence, nourrie par des conflits d’égo et des principes d’un autre temps. On y retrouve Maddox (Burt Lancaster en marshall donc), venu arrêter un groupe d’honnêtes garçon-vachers responsables de la mort accidentel d’un citoyen par une balle perdue lors d’une virée en ville un peu trop alcoolisée. Plus à cause de la fatalité que de réelles intentions belliqueuses, et après la mort de l’un d’entre eux, descendu par Maddox après l’avoir provoqué, la situation va peu à peu s’envenimer et dégénérer, l’orgueil, la peur et l’incommunicabilité prenant le pas sur le bon sens.

Pourtant baigné par un soleil écrasant, l’Homme de la Loi est un western extrêmement sombre et complexe, peuplé de cow-boys fatigués, épuisés par leurs regrets et leurs erreurs, de braves gens qui se retrouvent pris dans une situation qui les dépasse, dans une situation ou même le héros est un homme de loi au bord du burn-out, hanté par son passé enfui, capable de tirer dans le dos d’un homme par simple jalousie.

Western contemplatif mais pas très pictural, parfois un peu alourdi par des tics de réalisations typiques de cette époque-là (inserts en gros plans, zooms intempestifs) et parfois d’une sécheresse extrêmement efficace, L’Homme de la Loi se contente d’une violence succincte (mais diablement percutante) au profit de faces-à-faces, de dialogues et de personnages d’une incroyable complexité (dont Robert Duvall qui a quarante ans avait des airs de Matthew McConaughey).

Cerise sur le gâteau, la version française est encore une fois de toute beauté, et permet d’apprécier cette magnifique répartie (de mémoire) : « Tu parles fort, tu pètes encore plus fort, et on finit par plus savoir de quel côté tu causes ».

Du caviar.

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Le Piège infernal, pourtant annoncé par Eric Valette comme « encore mieux que le premier film », a un peu de mal à passer après une telle découverte. Pourtant le film de Michael Apted (décidemment un touche-à-tout, le cinéaste ayant aussi bien réalisé un thriller hospitalier qu’un James Bond ou un épisode de Narnia) est loin, très loin d’être dénué d’intérêt. On y retrouve un Stacy Keach de 36 ans (qui de son côté ressemble à un Patrick Dewaere des mauvais jours) en détective privée alcoolo au dernier degré, embarqué malgré lui dans un sacré pétrin lorsque son ex-femme se fait kidnapper avec sa fille pour faire pression sur son riche nouveau mari.

Le principal intérêt du Piège infernal (en plus de sa VF encore une fois aux petits oignons qui rend des situations cocasses encore plus savoureuses) vient de sa galerie de personnages, immédiatement soit fascinants dans leur vilénie, soit attachants dans leur faille. Que ce soit ce héros loser père de deux enfants tentant sans succès de se sortir de l’alcool, son acolyte voleur à la tire décidé à faire de lui un homme neuf, ou cet homme de main sadique (glaçant David Hemmings) autant près à jouer aux dés avec sa captive qu’à l’obliger à un dégradant strip-tease (certainement la scène la plus glauque du film), ils sont tous prompts à nous accrocher à l’histoire.

Heureusement, car de son côté, à constamment préféré construire des personnages plutôt qu’une intrigue, le scénario ronronne tranquillement, se laisse suivre sans déplaisir, mais ne décolle jamais vraiment. Au final on s’aperçoit qu’il ne se passe pas grand-chose dans le Piège infernal, là où une simple discussion dans l’Homme de la Loi pouvait créer assez de ramifications scénaristiques et thématiques pour créer toute une saison autour.

Mais peu importe, une poignée de scènes fortes, et ce duo charismatique que forme Stacy Keach et Freddie Starr (surtout connu pour avoir été le chanteur du groupe The Midnighters) emportent le morceau, le tout sur une musique qui, comme le précisait Eric Valette, rappelle un peu le cinéma de genre italien de la même époque, giallo et poliziottesco en tête.

Et avec bien sûr une VF délicieuse qui prouve si besoin était qu’en ce temps-là on prenait le boulot au sérieux pour qu’elle soit aussi bien, voire supérieure à la version originale.

 

Enfin, malgré la fatigue (pas eu le temps de dîner, et mine de rien quatre films dans la journée c’est plus de mon âge), on termine ce marathon du samedi avec le film séminal de l’œuvre de Frank Hennlotter, le cheap et barré Basket Case.

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Tourné aux débuts des années 80 avec 35000 dollars et très peu de connaissances, Basket Case (Frères de sang en VF) est le tout premier film du réalisateur, présent cette année encore au festival, et c’est avec amour qu’il nous raconte le tournage bordélique à la limite de l’amateurisme du long-métrage. Il nous détaille comment, tout seul, sans aucune équipe, il a réalisé ses quelques séquences avec la créature en stop-motion, lui qui n’a aucune patience, ce qui expliquerait à son sens la tronche de la tête, et nous fait part de son étonnement, encore aujourd’hui, de voir l’engouement pour un film aussi mal foutu.

Petite douceur, Henenlotter est venu avec un ami à lui, Albert Cadabra, show-man qui nous a fait en direct, et sans trucage, une démonstration de « plantage de clou dans le nez » (littéralement).

De quoi mettre dans l’ambiance avant un film culte que je n’avais jamais eu l’occasion d voir, et que je découvre donc avec plaisir sur grand écran.

Et bien comme son réalisateur l’avait annoncé, effectivement, on se demande au premier abord ce qui a pu sauver Basket Case des abîmes de l’underground.

Minimaliste, cheap, surjoué, éclairé à la truelle, épuisant, parfois volontairement drôle mais pas assez pour en faire une semi-parodie, parfois risible mais pas assez pour n faire un authentique nanar, Frères de sang, avec son monstre en mousse et son héros permanenté au sourire niais, aurait logiquement du se retrouver d’office dans la case navet.

Et pourtant, on peut déjà y voir tout l’esprit frondeur d’Henenlotter, son sens de l’excès et de la démesure, sa science de l’idée décalée, voire complètement branque, que ce soit dans le scénario ou dans la réalisation. Car on parle ici d’une histoire complètement improbable qui se détache de toute logique, dans laquelle un jeune et son frère siamois difforme attaché à son aine sont séparés par chirurgie, et reviennent se venger des années plus tard des docteurs qui ont décidé de l’opération sans leur consentement. Le tout sur fond de lien télépathique entre les deux frères, et d’amourette adolescente contrariée par la créature jalouse. Bref, un beau bordel, certes d’une facture visuelle assez moche (35000 euros en 1980, fallait pas non plus rêver) et nanti d’un scénario barré à souhait mais qui sent aussi fort le remplissage, mais qui augure d’une carrière placée sous le signe de l’exubérance et de l’anti-conformisme, ce que l’avenir aura fort de prouver.

 

Lessivé, affamé, je sors de la Cinémathèque sur les rotules mais heureux de ma journée, sans même penser au retour à vélo et à l’écriture de ce présent compte-rendu qui m’attendent.

Demain est un autre jour et, dimanche oblige, il devrait être plus calme sur le nombre de film, à défaut d’être plus reposant sur l’intensité de ceux-ci.

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AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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