François Cau est de retour !
Le trublion responsable de la compétition nous fait grâce de sa présence en ce dernier jour de festival. Retenu on ne sait où pendant les quatre premières journées, il nous avait gratifié de présentations vidéos de première bourre, le voilà aujourd’hui qui introduit Richard Stanley en direct !
Hum, enfin… Je veux dire…
Je m’exprime mal.
Il est là pour nous présenter l’avant-dernier film de la compétition, le documentaire L’Autre Monde, de Richard Stanley donc, qui pose ses bottes dans l’Aude, à mi-chemin entre Bugarach, Montségur et Rennes le Château, trois lieux connus pour être mystiques depuis des millénaires.
Un reportage au cœur de ce que François appellera les ascètes de la paranoïa, les moines bouddhistes du complot, loin des trolls d’internet qui propagent les rumeurs par pur amusement. Dans le cas présent, on plonge avec la caméra de Richard Stanley dans un monde à portée du nôtre, encore rempli de sorciers persuadés que l’alignement des différentes églises de la région ne doit rien au hasard, de résidents étrangers fraichement installés convaincus de voir dans les orbes de lumière qu’ils photographient des manifestations du divin ou d’un autre univers, et d’autochtones clamant haut et fort qu’ils sont la réincarnation de figures moyenâgeuses de la région. Une enquête d’investigation qui au premier abord a tout l’air d’un voyage au pays des illuminés, interviews des maires locaux cartésiens et blasés à l’appui, si ce n’était l’apparente adhésion de Stanley aux légendes, aux rumeurs de lieux magiques et aux affirmations d’apparitions, celui-ci soutenant avoir lui même expérimenté ces phénomènes.
Je dis apparente, car entre les témoignages brinquebalants, les personnages fantasques et la mise en scène mystique parfois digne du film d’horreur, difficile, passé un certain point, de savoir où s’arrête a vérité pure et où commence potentiellement la fiction.
L’Autre Monde est-il vraiment un documentaire génuine, ou par certains aspects un canular magistral utilisant le patrimoine historique et spirituel de la région ? Profitant de sa capacité à créer une histoire par les images, Richard Stanley brouille les pistes, et s’il croque les différentes personnalités du récit avec beaucoup d’affection, il finit par nous questionner sur leur véracité. Le fond, cette plongée dans un lieu empli de mystère et d’énergies, est déjà plutôt intéressant en soi, et sa forme très artistique et onirique en font un objet filmique étrange, difficile à déchiffrer mais assez passionnant. On en ressort avec une furieuse envie d’aller visiter l’Aude.
Ensuite, c’était l’heure des Maudits Courts.
Mais à partir de là il faut que je vous précise quelque chose, mes loups. Sachez que pour votre bon plaisir, pour que vous puissiez avoir un compte rendu qui colle à l’actualité, chaque jour pour le jour précédent, il faut que je sue sans et eau (c’est dégeulasse). Je me plie tellement en quatre pour vous que j’ai réussi à me faire engager comme contorsionniste au Cirque du Soleil pour boucler mes fins de mois. Bref, mes comptes-rendus prennent beaucoup de temps à écrire, et comme à la suite d’une grosse journée qui m’a fait finir à presque deux heures du matin recouvert de jus de tomate je ne me suis posé chez ma logeuse qu’aux alentours de 3h, vous pensez bien que la motivation n’était pas suffisante pour commencer à bosser. Tout en sachant que la journée du lendemain commencerait dès 14h avec le film cité au-dessus.
Du coup, la mort dans l’âme, pour pouvoir vous fignoler un article qui en vaille la peine, j’ai du faire passer à la trappe les Maudits Courts et passer ces deux heures à écrire.
Mais j’ai heureusement pu finir juste à temps pour ne pas manquer la projection de Made in France, une des seules occasions que nous auront de voir ce film sur grand écran puisqu’après avoir perdu son distributeur, puis vu sa date de sortie reculée en Novembre dernier, la réalité ayant rattrapé la fiction, il débarquera finalement directement en VOD et e-cinema le 29 Janvier prochain, faute d’exploitants assez courageux (ou peut-être juste avec un minimum d’éthique) pour proposer le film en salles. Et pourtant, à part un lien avec l’actualité commun à de nombreux films de part le monde chaque année, un lien qui aurait du au contraire pousser les exploitant à soutenir un film qui élève le débat, on voit mal ce qui a pu aboutir à une telle prise de position, tant le film de Nicolas Boukhrief est « simplement » une histoire à suspens dans la lignée de ses autres essais. Ni brûlot à charge, ni analyse politique, Made in France est un pur récit policier, un thriller qui n’utilise le terrorisme islamiste rampant que comme toile de fond d’une histoire d’infiltration classique. Un récit qui aurait finalement pu prendre place au sein de n’importe quel groupuscule ou association de malfaiteurs, tant le but de Boukrhief n’est pas de scruter les raisons qui poussent les jeunes à s’engager et les manipulations ourdies pour leur laver le cerveau, mais simplement de décortiquer les agissements d’une cellule terroriste de l’intérieur. Comment elle se compose, puis se décompose et enfin implose.
Ce qui annonce les limites d’un très bon film qui veut tout dire en peu de temps, tout en restant dans le carcan du thriller policier. Ce que son homologue américain Sleeper Cell, auquel il fait penser, prenait une saison entière, voire deux, à développer et étudier, Made in France le résume en 1h30, avec force raccourcis et caractères juste esquissés. Certes, comme dit au début, le but n’était de faire une étude complète sur le sujet mais un thriller pur jus, et sur ce point le film réussi son pari malgré un dernière acte très convenu dans ses « surprises », pourtant on ne peut pas s’empêcher de ressentir un manque, une envie que le film aille plus loin et développe plus les raisons et sentiments des djihadistes français. La faute aussi à un battage médiatique contre-productif qui a porté le film autant aux nues qu’au pilori avant même qu’il ne montre le bout de son nez.
Pourtant celui-ci est loin, loin d’être raté, et réussi tout de même à créer des personnages attachants, originaux, diversifiés, à qui l’on s’identifie facilement. Il y a Sam, le journaliste infiltré (Malik Zidi), pourtant le plus au point sur la culture musulmane, Sidi le jeune noir qui semble intégrer la cellule par lassitude, Driss le rebeu nerveux haïssant les représentants du pays mais peut-être pas prêt à tuer des innocents, Christophe (Vincent Civil, jeune acteur prometteur déjà vu dans Hard et Dix pour cent), ou Youssef comme il veut qu’on l’appelle, le bourgeois breton cherchant à tuer plus que l’ennui, et bien sûr Hassan (Dimitri Storoge), le mystérieux et sans pitié chef du groupe. Tous sont remarquablement interprété et font le véritable intérêt d’un thriller rondement mené mais qui paye le prix de sa réputation.
À peine le temps de manger, on enchaîne sans plus attendre puisque le festival est sur le point de fermer ses portes (snif), et qui dit clôture de festival dit barbelés ! Pardon dit palmarès !
Le Jury, qui était composé de Nicolas Stanzick (dont on a déjà parlé), Anais Bertrand (productrice de courts et bientôt de longs on croise les doigts et tout ce qui dépasse) et Luc Kenoufi (traducteur, sous-titreur, un des métiers les plus méconnus et importants du cinéma) ont rendu leur verdict : ce sera une Mention Spéciale pour Hormona (pour son érotisme vivifiant nous dit Nicolas). Moi qui pensait que le film de Bertrand Mandinco enthousiasmerait assez ce même Nicolas pour récolter le Grand Prix, ce sera finalement le barré, rêche et jusqu’auboutiste à la limite de l’expérimental Sorgoï Prakov qui sera récompensé, et malgré ses limites il le mérite bien vu l’investissement incroyable de son acteur-réalisateur.
Et puis il est temps de finir en beauté. La salle est remplie, la salle est bouillante et déjà hilare, elle n’attend qu’une chose : la traditionnelle soirée grindhouse qui élève le nanar au rang des Beaux-Arts, avec ce soir un MegaForce dont rien que le nom annonce la couleur, et avant lui les Traqués de l’An 2000 de Brian Trenchard-Smith (qui plus tard se compromettra avec la Nuit des démons 2 et Leprechaun : Destination Cosmos).
Quoique les Traqués de l’an 2000 n’est pas à proprement parler à nanar. Certes ont y trouve des faux raccords à foison, des bruitages oubliés, des stock-shots un peu honteux, des figurants qui font des saltos quand ils sont touchés, et tout un tas d’aberrations scénaristiques qui font heureusement plus rire que râler. Mais dans son idée de base aussi simpliste que détaillée et efficace, dans son gore (et sa nudité) volontaire, dans ses personnages truculents, dans son rythme assez soutenu et dans son maigre budget si bien exploité qu’il fait ressembler la scène final à un précurseur de Rambo 4, Les Traqués de l’an 2000 fait mouche et peut s’apprécier au premier degré.
Sur le fond, le film est un mélange très agréable entre un survival hérité des Chasses du Comte Zaroff et un film de prison ancré dans une société dystopique, avec certains éléments qui n’auraient pas démérités dans un nukesploitation façon Absolom 2022. Le discours est simple (on est pas là pour réfléchir non plus) mais les détails apportés à cette reconstitution d’un univers carcéral glauque (douches mixtes et promiscuité constante, gardes-chiourme castrés mais obsédés, punition en forme de supplice barbare) apportent un plus non négligeable à cette histoire qui tourne rapidement au « chasseurs contre chassés ».
Sur la forme, Brian Trenchard-Smith n’est pas un esthète de la caméra ni un artiste confirmé, simplement un honnête artisan, et il s’emploie à mener sa chasse à courre de la plus efficace des manières, avec force plans larges sur des fusillades et détails gores sur lesquels il s’attarde. Avec lui, un effet sanglant n’est jamais succinct, et il prend à cœur de rentabiliser ceux-ci au maximum en faisant durer les plans.
Ajoutez à cela, encore une fois cette année, une VF de toute beauté (merci les années 80) dans laquelle on retrouve l’inénarrable Patrick Poivey (Bruce Willis) encore discret qui donne sa voix au héros, et aussi, il me semble, Jean-Claude Michel (voix officielle de Sean Connery, Leslie Nielsen et un tas d’autres) dans le rôle du vilain directeur de la prison Thatcher, ainsi qu’Henry Djanik (la voix nazillarde de Telly Savalas et Ernest Borgnine) dans celui du chef des gardes Ritter, le géant chauve et moustachu Roger Ward de Mad Max. Bref, un plaisir à apprécier dans une salle de cinéma pleine à craquer et acquise à la cause.
Avec MegaForce par contre, on entre dans une autre dimension. Dans le surnaturel du nanar, le maitre-étalon du film trop raté pour être mauvais, avec son impérialisme reaganien primaire et jovial, sa direction artistique fluo à paillettes (vive les années 80), ses effets spéciaux d’un autre âge et ses acteurs tous en roue libre (dont un Henry Silva survolté qui ne semble même pas se rendre compte de la situation).
MegaForce est un film qui n’a AUCUN sens, un scénario qui privilégie la franche camaraderie à brushing et le glamour de pacotille à une quelconque accumulation de péripéties. En fait, le site nanarland en parle si bien dans sa critique que je n’ai même pas envie de trop m’étendre sur le sujet et préfère vous conseiller la lecture de l’excellent papier à propos du film sur leur site. Tout au plus je peux vous dire que ça parle avec le plus grand sérieux de briquet volé qui défait une amitié et crée un dictateur, de conseil amoureux à base de daltonien, et d’une blague fameuse : « Qu’est-ce qu’un faucon avec rien dans la tête ? Un vrai con ».
Car oui, une fois de plus, c’est une VF magistral à laquelle nous avons droit, qui nous fait nous questionner définitivement sur la volonté première du film. Blockbuster d’action (plus 14 millions de dollars de budget, plus que Terminator à l’époque) sérieux, ou pantalonnade semi parodique ? En français, les dialogues ont un goût encore plus savoureux, d’autant que nous avons droit cette fois-ci à un véritable casting all-star !
En plus du retour de Poivey en texan blagueur, et probablement Jean-Claude Michel en Colonel un peu teubé, MegaForce signe la réunion de l’autre Expendable Daniel Beretta (Arnold Schwarzenegger) en héros à sourire ultrabright,et de l’indétrônable Roger Carel (C3 PO, Astérix, Alf et bien d’autres pour les incultes) qui double le bien nommé Œuf, le Q maison totalement inutile à l’histoire.
Forcément, on n’arrête pas de rire du film, et pas avec lui, mais il l’a bien cherché. Et malgré quelques idées visuelles sympathiques (souvent très colorées mais pas dénuées d’intérêt, comme cette scène en ombre chinoise sur fond violet du plus bel effet), il s’agit bien d’un pur nanar à regarder au douzième degré avant d’aller se laver les yeux et se rincer la tête.
C’est le sourire aux lèvres et des étoiles dans les yeux (sûrement autant du à la fatigue qu’à l’émerveillement nanardesque) que je quitte les Maudits Films cette année, avec un pincement au cœur de partir, mais aussi la certitude que je serais au rendez-vous l’année prochaine.