Le soleil est haut dans le ciel, au moins autant que mon moral !
Je commence à être un peu fatigué par l’enchaînement film-critiques, mais je tiens bon. Il le faut, aujourd’hui c’est une grosse journée, et comme d’habitude, ça commence à 18h.
Première étape : Leith. Ce petit village de l’Amérique profonde est au centre du documentaire Welcome to Leith, encore une fois présenté par vidéo interposée par le truculent François Cau, arborant cette fois pour l’occasion un magnifique T-shirt « votez pour Trump 2016 ».
Un choix vestimentaire loin d’être du au hasard, puisque dans le 3ème film de la compétition, le tout petit patelin de Leith (24 habitants à tout casser) dans le Dakota du Nord, toujours accueillant envers les nouveaux venus, a la surprise de voir s’installer sur ses terres le tristement célèbre Craig Cobb, suprématiste blanc notoire décidé à faire de la bourgade un nouvel Eldorado pour ses ouailles. Rachetant parcelles après parcelles et invitant ses amis (comme le Mouvement National Socialiste dirigé par Jeff Schoepp) à le rejoindre, il ne cache même pas sa volonté de prendre peu à peu possession de la ville par le conseil municipal afin de créer une véritable enclave aux mouvements néo-nazis, instillant très vite la peur parmi les habitants et leurs voisins.
Description terrifiante d’une société au bord de l’implosion, Welcome to Leith montre ce qui pourrait être considéré comme un « terrorisme de l’intérieur » poussant sans cesse à une nouvelle Guerre Civile. Moins meurtrier que les agissements de groupes islamistes mieux relayés par les médias, les suprématistes blancs partagent pourtant une idéologie semblable, préparent aussi des attentats et des assassinats (moins bien préparés, plus isolés), mais surtout, et c’est le détail effrayant sur lequel s’appuie le documentaire, leur existence, de même que leurs convictions, sont selon la loi américaine totalement légitimes. Grâce au premier amendement, ils sont libres de leurs croyances et libres de circuler sur le territoire, et le second leur octroie le droit de porter des armes en toute circonstance, faisant de leur présence dans le paisible village de Leith une situation aussi inconvenante et dangereuse que… légale.
Comment, dans un pays à la liberté d’expression absolue, empêcher des individus aux convictions aussi sordides (le créateur d’un fameux site web explique sans ambages et face à la caméra que, les juifs étant connus pour provoquer le trouble depuis 2000 ans, il est totalement normal de préconiser un génocide) de se promener dans les rues de la ville, d’arborer des drapeaux nazis et sudistes, et d’être servis cordialement comme n’importe quel citoyen ?
Et les réalisateurs Michael Beach Nichols et Christopher K. Walker de questionner, sous forme d’enquête sur le vif étalée sur 9 mois, le bien fondé de chaque comportement. Où s’arrête la légitimité des comportements, et où commence l’intolérance ? Et surtout doit-on tolérer l’intolérance ? Quand les habitants de Leith finissent par réagir avec les racistes notoires de la même façon que ceux-ci réagiraient envers leurs souffre-douleurs juifs ou noirs, quand la peur et le malaise des citoyens finit par lancer une « chasse aux sorcières » de bon droit, on est en droit de se poser la question, oui ou non, la fin et la cause justifient-t-elle les moyens ?
Très judicieusement, les réalisateurs évitent à la fois le documentaire à charge trop orienté et la neutralité sans prise de position, ils savent rester objectifs, suivant Craig Cobb et ses disciples et les interviewant comme n’importe quel intervenant, tout en n’oubliant pas d’avoir un minimum de point de vue sur la question.
Un film extraordinaire, très simple, mais terrifiant dans sa manière de renvoyer face à face les comportements de chacun, et l’incommunicabilité au sein d’un pays au bord du gouffre.
Une expérience de tous les instants qui déteint sur le festival, puisqu’on a appris juste avant la séance que la copie numérique du film avait été récupéré in extremis 20 minutes avant la projection, et que l’ami François Cau aidé de l’ancienne du festival Sabine Garcia avait sué sang et eau pour créer à temps des sous-titres français qui n’existent pas encore.
À peine le temps de digérer l’uppercut que nous repartons pour la séance de 20h, le cultissime (pour les connaisseurs) Dark Star, tout premier film de l’illustre John Carpenter. Film de fin d’étude de 40 minutes écrit par le réalisateur et Dan O’Bannon (futur scénariste d’Alien et réalisateur du Retour des morts-vivants), il put être complété après le diplôme de Carpenter pour devenir un vrai long-métrage, et c’est vrai qu’il aurait été dommage de passer à côté de ça. Du propre aveu de son réalisateur, Dark Star est une sorte de Attendant Godot de Samuel Beckett dans l’espace. Absurde, décalé, description d’abord déconcertante puis hilarante de l’ennui d’une mission de 20 ans dans l’espace, le film cite autant les précédents de la science-fiction (2001 en première ligne avec son ordinateur de bord si poli et ses bombes à l’intelligence artificielle têtue) qu’il annonce les prémisses des suivants, puisque Dan O’Bannon avouera volontiers s’être inspiré des séquences de la créature extraterrestre échappée pour écrire le futur script du 8ème passager.
Une créature qui est pourtant à des lieux du monstre impitoyable qui mènera la vie dure à Sigouney Weaver. Nanti d’un budget extrêmement réduit, Carpenter préfère plonger dans le burlesque et l’humour, et fait de sa chose une sorte d’énorme ballon de plage aux airs de citrouille, nanti de deux pattes palmées et d’un gazouillis aussi mignon qu’irritant. Qu’il fasse de la vie du Sergent Pinback (Dan O’Bannon lui même) ou pas, impossible d’être terrifié par les péripéties, et c’est plutôt l’hilarité qu’il provoque (chose qu’on ne retrouvera pas chez le très sérieux Carpenter avant Jack Burton, et encore dans une moindre mesure). On peut d’ailleurs trouver dommage que le réalisateur n’ait pas plus souvent cédé à l’appel de l’humour, tant la réussite est flagrante malgré le budget étriqué et les situations minimalistes, le tout culminant dans une séance de désamorçage de bombe philosophique à faire pâlir tous les Jack Bauer de l’univers.
Une découverte pour moi (oui, je l’avoue, c’est un des rares films du bonhomme que je n’avais encore jamais vu) et un grand moment de rigolade encore plus probant dans une salle où les spectateurs réagissent et rient à l’unisson.
Après avoir récupéré quelques VHS offertes à l’échoppe du Festival (Parasite et un obscur film avec de vilains mutants si vous voulez le savoir), on enchaîne avec quelque chose de beaucoup plus sérieux. Présenté par le passionnant Benjamin Cocquenet de Culturopoing (nouvel intervenant de cette année, désormais membre actif du festival), Scotland Yard contre X, malgré son titre français complètement mensonger, est une petite série B policière façon mystère/espionnage comme il en fleurissait en Angleterre dans les années 60. Réalisé par Basil Dearden (Khartoum, Accusé, levez-vous), il met en scène un Stewart Granger ancien anglais naturalisé américain de retour sur sa terre natale. Sur la liste noire après avoir frappé le producteur nabab Daryl Zanuck à la suite d’un différend amoureux avec Jean Simmons, il avait du se tourner vers les studios anglais pour une seconde partie de carrière dans la série B.
Et donc dans ce The Secret Partner, dont Karel nous apprend d’ailleurs que la copie, issue de la collection de la cinémathèque, s’avère tronquée, le tout dernier plan du film étant introuvable. Rien de grave, et si on veut vraiment connaître cette ultime plan, on pourra toujours lui demander à la fin.
Ce qui est plus dommageable par contre dans l’état de la copie restera le son. Abîmée, usée par les ans, la copie possède une piste sonore remplie de parasite, souvent peu audible, quand elle ne se retrouve pas tout simplement coupée pendant quelques instants, obligeant les spectateurs à mimer leurs propres paroles. Le prix à payer pour découvrir des trésors cachés longtemps oubliés au fond d’une cave.
Heureusement, malgré le son un peu pauvre et les régulières sautes d’image, impossible de s’ennuyer devant ce petit thriller retors comme il faut, récit d’un homme manipulé que tout accuse du casse de son entreprise, et cherche à échapper à la police autant qu’à s’innocenter. Une trame très classique pour notre époque, qui fait un peu office de précurseur de tous les films d’accusé à tort ayant pullulé sur les écrans jusqu’à nos jours. Plutôt intelligent, au final surprenant (alors que tous les éléments nous avaient été proposés dès le début), non dénué d’humour, Scotland Yard contre X/The Secret Partner vaut aussi pour sa galerie de personnages attachants, mystérieux, veules, truculents ou pleutres, rendus encore plus sympathique par une version française désuète mais délicieuse, décidemment une constante cette année aux Maudits Films qui nous donnerait presque envie d’arrêter la VO.
Enfin, pour bien terminer la soirée, rien de tel qu’un jus de tomate à la séance de minuit !
Second volet de la tétralogie légumière de John de Bello (l’homme d’une seule saga, toujours vivant, mais dont on a plus de nouvelles depuis l’obscur film d’action Black Dawn en 1997), le Retour des tomates tueuses est, en plus d’être une des premières apparitions d’un George Clooney au talent comique aussi ébouriffant que son brushing est ébouriffé, est un des représentants du genre comique les plus fous, décalés et déjantés qui soit. À mi chemin entre la parodie chère au ZAZ, l’absurde des Monty Python et le slapstick le plus pur, il pousse le concept déjà complètement timbré jusqu’à faire de son film une gigantesque mise en abime de lui-même, les acteurs ayant conscience de jouer dans un film, faisant de grands sourires à la caméra, et demandant même à d’autres personnages si le moment est venu de lancer la course-poursuite obligatoire du film (qui se terminera dans les cartons après quelques secondes, faute de budget selon les protagonistes eux-mêmes). John de Bello se permet même de commencer son film par un jeu télévisé promettant d’appeler quelqu’un au hasard pour qu’il lui donne le mot secret (on aura droit du coup à un appel téléphonique en plein métrage, non pour donner le mot secret, mais d’une personne qui se plaindra de l’abus de stock-shots du premier film), et stoppe carrément plus tard le tournage, arguant qu’il n’y a plus de budget pour continuer, avant qu’un Georges Clooney en train de se faire pomponner lui propose de remplacer les produits génériques du film (effectivement au quatre coins de l’écran depuis le début), par du placement produit lui permettant d’amasser de l’argent. En résulte une des scènes les plus drôles du film où les acteurs citent des marques à tour de bras, créant un discours autant rempli d’auto-dérision que d’auto-critique sur les manigances et la difficulté de faire un film dans le monde de l’époque (vous me direz, ça n’a pas beaucoup changé).
Du coup, au-delà de ses gags, de sa crétinerie assumée, de son ambiance potache, de ses tomates transformées en Rambo par la musique ou mutées en adorable boule de poils gazouillante, Le Retour des tomates tueuses est finalement plus intelligent et profond qu’il n’y paraît, éraflant un peu le vernis du système hollywoodien entre deux répliques hilarantes et interprétation outrés.
Un bonheur pour les zygomatiques, et une excellente manière de terminer cette grosse journée.
Il est presque 2h du matin, il faut vite rentrer et aller se coucher, car demain c’est le dernier jour, impossible de manquer le dernier documentaire de Richard Stanley, Made in France de Boukhrief et la soirée Grindhouse de clôture.