Le samedi, c’est Moretti, mais ça peut aussi rimer avec The Sea of Trees (enfin presque).
Au menu aujourd’hui, un habitué du festival, du marché en veux-tu en voilà, et la petite histoire du grand tapis rouge.
La Bande-Annonce du jour
La bande-annonce du Jour, c’est celle de Mia Madre, le nouveau film de Nanni Moretti présenté en compétition, et qui sortira chez nous le 2 Décembre.
Un nouveau drame familial pour cet habitué de la Croisette qui avait reçu la récompense suprême en 2001 avec La Chambre du Fils, et qui en est à sa septième participation à la compétition (après Ecce Bombo, Journal Intime, Aprile, La Chambre du Fils donc, Le Caiman, et Habemus Papam), en plus d’avoir présidé celle-ci il y a 3 ans.
Nanni Moretti sera donc comme à la maison, avec ce récit symbolique d’une cinéaste en pleine perdition qui apprend peu à peu à accepter la mort inéluctable de sa mère. On pourrait presque dire que le film est un autoportrait, et les rumeurs le donnent (bien sûr) déjà favori pour les récompenses (mais les rumeurs à Cannes, c’est comme les histoires de Toto, tout le monde en a une différente).
La réalisatrice, c’est Margherita Buy, une de ses habituées, et l’impayable John Turturro complète le casting de ce film attendu.
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Le Programme du Jour
Aujourd’hui au programme, Mia Madre principalement, Moretti oblige, mais ce ne sera pas la seule « tête d’affiche » de cette journée cannoise. On attend aussi énormément au Théâtre Lumière le Sea of Trees de Gus Van Sant (ou La Forêt des songes quand il sortira en France le 9 Septembre), qui s’annonce sombre et désespéré, et où l’on retrouve Matthew McConaughey, Naomi Watts et Ken Watanabe au cœur de la tristement célèbre forêt d’Aokigahara au Japon, plus connue comme la forêt aux suicides, où les personnes qui mettent fin à leurs jours sont si nombreuses qu’une équipe spéciale de policiers a été mise en place pour empêcher la population locale (et internationale) d’en finir.
À Un Certain Regard, on pourra voir Nahid, de l’iranienne Ida Panahandeh qui s’annonce comme un douloureux combat féminin dans la société très patriarcale de l’Iran, où une mère, qui a récupéré la garde de son fils à la condition qu’elle ne se remarie pas, rencontre un nouvel homme qui l’aime passionnément. Sera également présenté un film français, Maryland d’Alice Winocour (en salles le 29 Décembre), dans lequel on retrouve Matthias Schoenaerts en ex-soldat souffrant de stress post-traumatique qui rencontrera la fascinante Diane Kruger quand il sera chargé par son mari de la protéger. Et oui, le glamour ce n’est pas que sur les marches les plus connues, mais aussi sur celles de la salle Debussy.
La Quinzaine des réalisateurs, elle, se met à l’heure orientale, en projetant le premier volume des Mille et Une Nuits de Miguel Gomez (réalisateur de Tabou ou Ce Cher mois d’Août). Premier volume car cette adaptation dure plus de six heures, et pour éviter la saturation, elle sera diffusée en trois fois. Je rigole déjà des personnes qui ne pourront accéder à la totalité des séances… On y trouvera aussi A Perfect Day de Fernando Leon de Aranoa, un film au casting 4 étoiles (Benicio Del Toro, Tim Robbins, Olga Kurylenko, Mélanie Thierry), où un groupe d’humanitaires tente de résoudre une crise en pleine zone de guerre.
Quant à la Semaine de la Critique, elle présente Coin Locker Girl de Jun Hee-Han, nouvelle incursion dans le monde interlope de la criminalité coréenne qui conte le parcours de deux femmes qui ont trouvé chacune leur façon de survivre dans un monde cruel, ainsi que Ni le Ciel, ni la Terre, un film français de Clément Cogitore avec Jérémie Rénier en capitaine de section qui, en Afghanistan, voit sa main mise sur une région frontalière du Pakistan s’étioler peu à peu..
Enfin, le cinéma de la plage propose le célèbre Hotel du nord de Marcel Carné, l’occasion de réviser ses classiques.
Pour ma part, si tout va bien (j’ai encore eu une belle mésaventure hier), je verrai The Lobster et Un Homme irrationnel en séance du lendemain, plus Carol de Todd Haynes en séance presse (si il y a encore des places), et je vais tâcher de m’incruster aux projos de Criminal, nouvelle production Millenium Films avec Kevin Costner et Tommy-Lee Jones, et/ou à celle de Veteran, du réalisateur de The Unjust et Berlin File.
Wish me luck !
L’Anecdote du jour
Aujourd’hui, on va laisser de côté l’historique du festival, pour un petit atelier pratique : Cannes et ses badges colorés.
Hier j’ai eu une belle mésaventure lorsque l’entrée à une séance presse (donc à destination de ma caste hein) m’a été refusée pour cause de badge trop bas dans la hiérarchie. Toutes les autres couleurs de badges étaient passées avant moi et la séance était complète.
C’est un peu compliqué pour faire son métier, soliloqué-je, et je me suis dit qu’un petit topo pourrait être non négligeable, tant la hiérarchie colorisée des badges et les différentes tribus font partie intégrante du microcosme cannois.
Tout d’abord, il y a les sans badges, la plèbe, ceux qui font partie du décor et à qui personne ne fait attention. Ceux-là ne sont pas des membres de la « famille » cannoise, mais de simples touristes, pourtant rien ne les empêchent de profiter du festival à leur façon. D’abord grâce au cinéma de la plage, ouvert à tous avec un film par soir. Ensuite grâce à la quinzaine des réalisateurs, seule sélection parallèle qui vende des tickets à l’unité. Enfin, pour les plus dégourdis, grâce aux invitations hypothétiquement glanées à la sortie du Palais à de généreux festivaliers qui ne les utiliseraient pas, une sorte de mendicité cinématographique qui voit fleurir à la mi-journée des planctons en tenue de soirée, une pancarte « invitations/tickets please » fièrement brandie devant eux.
Ensuite il y a les badges Cinéphiles, tout simple, distribués gratuitement par paquet de 4000 chaque année à d’heureux élus triés sur le volets, étudiants, membre du club, ou quidam en faisant la demande avec une belle lettre des mois à l’avance. Un premier pas dans le réseau, sauf que cette accréditation est la dernière à pouvoir pénétrer dans les salles, les petites gens, et bien souvent c’est après avoir fait une à deux heures de queue que vous vous retrouvez le bec dans l’eau à regarder tous les autres badges vous passer devant. Autant dire que les bénéficiaires des pass cinéphiles passent plus de temps dans les files d’attente que devant les écrans.
Puis, juste derrière, c’est le pass « Festival » qui est blanc avec une bande de couleur, une catégorie un peu fourre-tout où l’on trouve tous les métiers du cinéma, acteurs, techniciens, décorateurs, réalisateurs, en gros c’est le pass pro, assez facilement attribuable, mais qui vous obligera quand même à récupérer des invitations et/ou faire la queue sans savoir si vous assisterez à la séance (l’avantage c’est un système de réservation d’invitations et d’impression aux bornes dédiées qui va de pair avec ces badges).
Ensuite arrivent les accréditations presse. Tout d’abord les verts, les caméramans et techniciens du son, qui en général ne peuvent pas accéder aux séances (en même temps ils ne sont pas là pour ça), mais qui grâce à leur sésame peuvent se faufiler jusqu’aux conférences de presse, inaccessibles au commun des mortels.
Ensuite les jaunes (youhou, c’est moi !), les plus mal lotis, les prolos de la société festivalière, qui correspondent aux médias moins nobles, principalement ceux du web (on évitera de rappeler que le web est le premier medium journalistique mondial…), en général au coude à coude avec les oranges, soit les photographes (heureusement, ils ont rarement le temps de venir s’amuser devant des écrans). Lors des projections-presse, nous sommes les derniers à passer, quand bien même les chanceux mieux lotis que nous ne prévoiraient pas d’écrire une seule ligne sur le film qu’ils vont voir.
Puis les bleus, la classe moyenne, les journalistes de la presse papier, privilégiés car venant d’un médium noble et historique, et pourtant eux aussi parfois repartent broucouille devant la cohorte d’infâmes profiteurs qui suit.
Les roses, les bourgeois, ceux qui passent devant tout le monde même si leur file s’est vidée, ce sont les journalistes de la presse audiovisuelle et quotidienne, qui travaillent dans des délais très courts et doivent rentrer prioritairement aux séances de presse. Mais bien sûr. J’imagine bien le stagiaire de BFM TV, ou les nombreux directeurs de petites chaines de télé s’empresser de rédiger une critique du film qu’ils viennent de voir pour l’édition du lendemain… Une catégorie donc remplie de profiteurs, qui ont la chance d’appartenir à un medium qui leur donne un accès prioritaire, quand bien même ils ne feraient que rarement un travail de journaliste.
Encore plus huppés, voilà les nobles, les roses à pastille, de tous bords, mais habitués du festival depuis de nombreuses années et présents pendant toute la quinzaine, les chouchous de Cannes en quelque sorte, qui ont leur file entièrement dédié.
Et enfin, voilà qu’arrivent les rois. Le badge blanc, Graal du Graal, uniquement donné aux proches du festival, aux privilégiés de l’ancienneté et aux gens de prestige. Il donne accès absolument partout, avant tout le monde, et l’on murmure même qu’en général, les gens qui y ont droit sont si connus et importants qu’ils n’en ont même pas besoin…
Il reste encore quelques catégories de badges, marrons, mauves, noirs, pour les producteurs, distributeurs, exploitants, et acheteurs du marché du film qui donnent accès à énormément de choses, mais surtout aux séances du Marché, et qui ne seront pas forcément prioritaires aux compétitions officielles.
Encore heureux, nom de Zeus !
À demain pour les retours et la suite du compte rendu !
Et ben les amis, il va être rapide ce compte rendu.
Aujourd’hui, je n’ai vu aucun film. Zéro, nada, des clous.
Une grosse flemme, une routine lassante ? Non non, juste une succession d’événements infortunés.
Ce matin je me réveille avec un mal de tête carabiné. Apparemment, le vent impitoyable de la veille a eu raison de moi, j’ai le corps engourdi, des frissons, la tête qui semble sur le point d’exploser, le nez coulant et les yeux bouffis. Très pratique quand on doit couvrir un festival de cinéma.
Je tente de me lever pour me faire violence, mais la pièce qui tourne toute seule autour de moi me fait comprendre que mon état ne permet que la position allongée.
Je pars me recoucher la mort dans l’âme. La séance du lendemain de The Lobster, c’est fini pour moi. Et celle du Woody Allen, à 14h semble être bien partie pour passer à la trappe elle aussi.
Effectivement, ce n’est que sur les coups de 16 heures que je me sens un peu mieux. Il est trop tard pour tenter la nouvelle production Nu Image (à vrai dire elle démarre justement au moment où j’émerge, ce qui, à moins de connaître les secrets de la téléportation, fait un peu court). Je tache de reprendre du poil de la bête, une douche et un petit-déjeuner/goûter, et je file à Cannes pour arriver à temps au stand de CJ Entertainement.
Après avoir vu le très bon Chronicles of Evil et le beaucoup moins enthousiasmant The Shameless, c’est Veteran qui ma fait de l’œil, et je vais essayer d’avoir une invitation pour la projection qui a lieu à 17h30.
Las, toujours aussi gentil, le jeune coréen de garde m’explique que la production a expressément interdit la présence de la presse. Apparemment le film ne serait pas entièrement fini, et il me demande de patienter. Me voilà sans rien de prévu avant la soirée.
J’en profite pour refaire un tour du Marché. J’ai récolté une invitation pour un petit film grindhouse dimanche, Atomic Eden avec Fred Williamson et Lorenzo Lamas, mais il faut absolument que j’accède à la même heure à la séance du lendemain de Sea of Trees. Je demande donc aux gentils allemands si je peux échanger l’invitation de dimanche pour la projection de lundi. Ils acceptent avec tellement de bonhomie qu’ils décident carrément de me pitcher le film comme si j’étais un producteur, et de me montrer la bande-annonce du film.
Je ne vais pas vous mentir, ça s’annonce particulièrement cheap, du genre tourné dans un immeuble abandonné et multipliant les scènes de couloir. Mais il y a encore une bonne chance que le film soit très second degré, et donc rigolo.
Je passe aussi récupérer avec mon plus grand sourire une invitation pour le film d’horreur Last Shift, de Tombstone Pictures. Ce n’était pas gagné (toujours ce problème de projections non faites à la base pour la presse), mais mon charme ravageur a apparemment fait le boulot face aux nymphettes qui tenaient le stand. Pour une fois…
Et puis un attaché de presse m’aborde directement en plein couloir, pour me proposer la projection d’un film coréen d’actualité, sur la corruption du pays. Vous connaissez mon amour pour le cinéma du matin calme, et le sourire de la productrice fait le reste, je note le jour et l’heure.
Au moins je suis sûr de rentrer, la prod a fait un selfie avec moi pour être sûr de me reconnaître à l’entrée de la salle.
Je fais le tour des projections de la journée, et décide de tenter le film de Natalie Portman, A Tale of Love and Darkness, qui démarre dans une heure à la salle Bunuel. C’est une petite salle, mais ça me laisse le temps d’être en bonne place pour rentrer.
Que nenni, quand j’arrive en haut, le vigile m’annonce que la séance est déjà complète…
Vous en voulez encore de la loose ? Ne vous inquiétez pas, ça continue. Sans vraiment y croire, je décide de faire la queue pour la projection presse de Carol, le nouveau film de Todd Haynes (I’m not there). J’avais été échaudé par mon expérience de la veille, et il arrive exactement la même chose. Je vois une file immense du côté des badges roses, autour de moi on murmure que mêmes les bleus seraient susceptibles de rester sur le carreau, les files prioritaires ne désemplissent pas… J’abandonne avant même d’avoir eu confirmation qu’on sera refoulés à l’entrée. Je me console en me disant que, du coup, la seconde projection presse, à 21h30, sera beaucoup moins engorgée, et que j’aurai bien plus de chances d’y accéder.
J’évite quand même de courir le risque, et après un apéro avec les copains, je me rends vers la salle Bazin à 20h15. Une heure et quart ne sera même pas assez… On patiente, on espère, on suffoque dans la foule, et 5 minutes avant le début de la projection, alors que j’étais encore loin de l’entrée, on annonce que la séance est complète.
Je bous de rage, je fulmine, mais rien à faire, je repars les yeux vides.
Je me pose et je tâche de trouver un moyen de ne pas faire chou blanc. Dernière solution, la séance de 23h30 au Théâtre Lumière. Même sans invitation, je peux tenter la file Dernière Minute, au cas, probable à cette heure là, où il resterait des places.
Seulement voilà, je m’aperçois que tout le monde autour de moi est sapé comme à la noce, robes de soirée et smokings cintrés, et pour cause, le film de ce soir, c’est Amy, documentaire attendu sur la défunte chanteuse Amy Winehouse, et même s’il risque de rester des places, je ne rentrerais pas, à moins d’être habillé comme un pingouin.
Et me voilà, désemparé, sur un banc de la Croisette, devant une plage privée hype & chic qui enchaîne les tubes entrainant, alors que défilent devant moi les festivaliers enjoués et les groupes avinés.
Y’a des jours comme ça…
Par Corvis