Certes, seuls ceux d’entre vous qui ont connu la glorieuse époque des Betteraves comprendront un traître mot de ce titre, mais en tout cas il décrit bien à la fois l’ambiance, et mon état physique et psychologique après cette Nuit intense (non, ce n’est pas sale).
Oui, je suis une grosse feignasse, pas seulement parce que je me suis permis de scinder le compte rendu de cette journée en deux, histoire d’avoir moins à écrire en une fois, mais surtout parce que contrairement à ce que j’avais prévu, je n’ai pas réussi à tenir la nuit blanche, et à enchainer la projection des films avec le visionnage d’autres pelloches sur mon ordi ou dans la salle presse dès potron-minet.
J’avoue, je suis rentré me coucher, histoire de dormir quelques heures avant de repartir de plus belle dès 14h.
Ceci dit, si vous avez regardé les vidéos de mon dernier compte-rendu, vous vous serez rendu compte que j’avais de sacrées circonstances atténuantes. Tenir environ 8 heures à regarder des films dans cette ambiance, ça vous épuise un homme !
Tout commence sur les coups de 23h.
La salle est remplie, le public bruyant, l’atmosphère électrique, et quand Stéphane débarque sur scène pour présenter la soirée, c’est un tonnerre d’applaudissement qui l’accueille. Le reste, je ne précise pas, vous l’avez vu sur les vidéos, il repart dans le brouhaha général et les cris d’impatience, en lieu et place de l’usuel « quel talent ! » scandé par des groupes d’habitués qui ponctue normalement chacune de ses apparitions.
Oui car les gimmicks sont encore plus nombreux que vous le pensez. Quand la vidéo introductive du festival lance un « I’m back », le public lui répond « nous aussi ! », son « Welcome » final est repris par tout le monde, et avant chaque séance, dans le noir, retentit le désormais célèbre cri de ralliement : « Taa taa, tatatata ! Tuer encore ! Jamais plus ! » (dont la légende dit qu’elle provient de la version française d’un film qui marqua autrefois les BIFFFeurs à jamais).
Et bien sûr, lors du générique des films, chaque apparition de logo, titre, casting, ou membre de l’équipe est accompagné d’une rafale d’applaudissements.
C’est bien sûr ce qui arrive lors de la surprise du jour (que je connaissais à l’avance et que j’avais pourtant totalement oublié pour le coup), la diffusion en exclusivité mondiale d’un segment de l’anthologie Tokyo Grand Guignol, tournée sur place par des réalisateurs français, à savoir Good Boy, du montpelliérain (représente !) Nicolas Alberny (co-réalisateur de 8th Wonderland et visible sur la dernière vidéo avec sa guitare et sa chanson paillarde). Pour voir les segments du montpelliérain (représente bis !) François Gaillard (Blackaria et Last Caress), Gilles Landucci (réal de seconde équipe de 8th Wonderland dont c’est le premier film) et Yann Moreau (l’Enterrement des rats, déjà à Tokyo), il faudra attendre un peu, le film n’ayant pas encore de date de sortie.
Mais pour l’instant, Good Boy donc. Comme les futurs autres segments, celui-ci prend à bras le corps le folklore japonais urbain et les aspects tokyoïtes les plus marquants, le tout par le prisme du regard européen, et avec une bonne dose d’humour sanglant. Il raconte l’histoire d’un jeune japonais bourré et déçu par sa petite amie, qui profane la célèbre statue du chien Hachiko. Malheur à lui, la malédiction va s’abattre sur lui et le pousser à se comporter avec la gente féminine comme le plus fidèle des toutous.
Bien entendu, tout va rapidement partir en vrille, et transformer la soirée de beuverie en odyssée sanglante au milieu des soirées karaoké, des salons de massage lubriques et des yakuzas énervés. Une excellente pelloche qui va droit au but et enquille les situations drolatiques et grinçantes, pour se terminer sur une hilarante pirouette.
De quoi chauffer la salle qui n’en demandait même pas tant.
Après un tel amuse-bouche, on était en droit de s’attendre à une sacrée entrée. D’autant que le premier film de la soirée, c’est Everly de Joe Lynch (le malheureusement toujours inédit Knights of Badassdom) avec une Salma Hayek en John McClane au féminin coincée dans un appartement avec tout ce que l’immeuble compte de prostituées et mafieux aux trousses. Un film qui m’était totalement inconnu, mais dont la bande-annonce remplie d’idées bourrines et originales m’a automatiquement convaincu.
Et pourtant…
Sans être totalement mauvais, Everly pâtit d’une structure bancale (avec une excellente première demi-heure, un dernier acte pas mal du tout, et un grand vide au milieu) et surtout d’une volonté d’émotion et de profondeur qui ne fonctionne absolument pas. Non content de se révéler assez stéréotypé dans sa peinture d’une femme décidée à renouer avec sa mère et à sauver sa fille quitte à se sacrifier pour cela, le film peine à diluer ses velléités mélodramatiques dans son récit explosif pour les rendre digestes. D’où le gros ventre mou au milieu, et l’accumulation de poncifs larmoyants qui bloquent régulièrement le rythme et l’intensité du film.
Pourtant, celui-ci avait tout pour plaire. Des idées visuelles fortes (dont des plans assez longs au lieu des habituels montages cut), un concept de « film d’action en huis-clos » génial (l’héroïne n’ira pas plus loin que le bout du couloir de tout le film), des éléments graphiques sanglants du plus bel effet, ou encore quelques personnages vraiment sympathiques (mentions spéciales au « Sadique » et au mafieux rendu paraplégique par une balle d’Everly, qui restera son interlocuteur privilégié pendant une bonne partie du film).
Mais toutes ces bonnes idées sont malheureusement au service d’un script laborieux qui retombe trop souvent dans le pathos au lieu d’utiliser l’action comme vecteur de l’intrigue et des émotions. Du coup, après une entrée en matière réjouissante et sanglante, on s’ennuie profondément, jusqu’à un dernier acte qui relance la machine, mais sans jamais retrouver la verve et l’énergie de l’introduction. Et qui se finit sur une note larmoyante beaucoup trop appuyée pour convaincre (le dernier plan frôle le ridicule).
La Nuit Fantastique, c’est comme une journée de boulot à l’usine. Entre chaque film, on a un petit quart d’heure pour aller fumer une clope, se dégourdir les jambes et vider sa vessie, et ensuite un gong résonne (littéralement) pour nous rappeler à notre devoir, et il faut repartir vers la salle pour un nouveau film.
Malgré ses qualités trop relatives, Everly restait un film d’action dont les fulgurances pouvaient réjouir et réveiller la salle. Avec le deuxième film, j’ai peur qu’on perde définitivement le public, tant il paraît éloigné de l’ambiance festive de la soirée.
Life After Beth de Jeff Baena (scénariste de J’Adore Huckabees dont c’est ici le premier film) a ainsi tous les attraits du cinéma indé américain, avec ses habitués (John C. Reilly en papa dépassé, Dane DeHaan le Harry Osborn de Marc Webb) et ses acteurs venus de la télé (Molly Shannon, Cheryl Hines de Suburgatory, Matthew Gray Gubler d’Esprits Criminels), sa bande son folk, son ambiance éthérée et son point de départ dramatique.
Ici, tout commence avec la mort accidentelle de Beth (Aubrey Plaza récupérée de Parks and Recreation), mordue par un serpent venimeux en pleine randonnée. Sa disparition laisse tout le monde éploré, y compris Zach, son petit ami (Dane DeHaan donc), pourtant laissé de côté ces derniers temps. Mais les choses vont lentement déraper lorsque Beth revient chez elle, bien vivante, sans aucun souvenir de sa mort ni des évènements qui ont précédé. Une situation qui pourrait fort bien ne pas être unique.
Même avec ce résumé, on pourrait croire à une comédie fantastique douce-amère et languissante, peu propice à la Nuit Fantastique. Et pourtant, si le film n’oublie jamais son propos initial, à savoir se servir de ce canevas pour faire une métaphore des séparations difficiles et du deuil d’une relation, il part rapidement en vrille dans son rythme, son propos et ses idées, ajoutant couche après couche un peu plus d’épaisseur à son récit, le rendant plus ambitieux qu’il ne paraissait au premier abord.
En dire plus serait en dire trop, tant le film va de surprise en surprise, et n’hésite jamais à plonger tête la première dans l’absurde et le chaos, plutôt que de rester tranquillement dans son carcan de comédie indé intimiste. Si le film garde son cap principal et se concentre sur son couple vedette, il a la bonne idée de s’aventurer régulièrement dans l’ironie décalée, dans l’horreur gentiment graphique, voire les deux, et l’ émotion s’acoquine rapidement avec un humour grinçant.
Et si on ajoute à ça la présence de la toujours délicieuse Anna Kendrick en adorable ingénue, il semble que les astres se soient alignés pour nous offrir une très jolie comédie noire, un peu comme si Jason Reitman avait décidé de faire un film de revenants.
15 minutes plus tard, sur les coups de 3h du matin quand même, on est fin près pour repartir de plus belle avec un film dont le titre annonce la couleur : Jorge Y Alberto contra los Demonios Neoliberales. Un petit budget déjanté qui a l’air d’être une version argentine et anarchiste de Buffy contre les vampires, avec des effets spéciaux d’un autre âge assumé, des idées débiles tout aussi assumées et des filles à poil un peu partout.
Sauf que non. Les 20 premières minutes, qui convoquent autant les Demons de Lamberto Bava (en moins sérieux) que le Peter Jackson des débuts (en moins inspiré), auraient pu donner le change, notamment grâce à des maquillages volontairement laids à base de cornes en latex et de sauce salsa, et quelques idées joyeusement farfelues (mention spéciale au medium qui peut voir le futur d’une personne en lui tripotant les seins), mais il s’avère rapidement que ce délire de potes est un véritable navet, mou et inintéressant, dont la plupart des gags tombent constamment à plat. Et quand ce n’est pas le cas (par exemple cette famille de fanatiques catholiques dont la sonnerie de téléphone est un carillon d’église), le rythme reste si neurasthénique et les acteurs si peu convaincants qu’on n’a même plus envie de sourire.
Au final, cette histoire de duo d’exorcistes luttant pour la victoire du socialisme face à un juge démon qui veut mettre l’Argentine à feu et à sang, est un véritable tue-l’amour cinématographique, qui sue par tous les pores l’amateurisme de ses deux réalisateurs, les frangins Hernan et Gonzalo Quintana.
Pas vraiment envie d’en dire plus.
Enfin, alors que l’aube pointe presque le bout de son nez, c’est avec le film annoncé comme le plus lancinant, mais aussi le plus difficile à regarder, que nous terminons la Nuit Fantastique.
Eat, premier film du réalisateur Jimmy Weber, a déjà beaucoup fait parler de lui à Sitgès, Neuchâtel et Gerardmer (où il avait également clôturé une Nuit consacré à la bouffe dans tous ces états). Et pour cause, comme le dit si bien l’affiche, c’est l’histoire d’une fille qui se trouve elle-même, et ensuite se mange elle-même. Un récit d’autophagie sévère donc, qui provoquera des hauts le cœur même aux amateurs de gore les plus persévérants, et surtout qui s’accorde parfaitement avec la toile de fond dans laquelle il prend place : la jungle hollywoodienne et le Golgotha perpétuelle des jeunes et jolies actrices.
Un univers dans lequel végète Novella McClure (la nouvelle venue Meggie Maddock) depuis trop longtemps, et qui la pousse peu à peu à bout. Elle a dépassé la trentaine, son nom sonne malgré elle comme une actrice porno, et malgré sa consommation frénétique de castings, elle n’a pas eu un seul rôle en trois ans. Le soleil de Los Angeles et les sorties avec son amie Candice n’y font rien, Novella déprime, Novella s’ennuie, Novella angoisse, et quand elle est dans cet état, comme beaucoup de gens stressés, elle grignote des parties de son corps. Habituellement on mange des bouts d’ongle, des poils, ou on arrache des lambeaux de peaux mortes. Novella, elle, est si stressée, qu’elle pourrait aller beaucoup plus loin.
Les cinéphiles à l’estomac sensible ne seront même pas rassurés en sachant que les scènes d’autophagie ne sont que sporadiques, le récit se concentrant principalement sur la lutte de l’héroïne pour se faire une place au soleil, au milieux des apprentis actrices plus jeunes et moins prudes, des dragueurs lourds, des directeurs de casting lubriques et de la société qui la voit comme une suicidaire. Oui le gore est presque accessoire, et ne revient que périodiquement, comme un leitmotiv, dans cette histoire où le désespoir pousse les êtres fragiles à la folie destructrice (joli parallèle avec son ami Candice, qui elle rejette sa frustration sur d’autres qu’elle) ou autodestructrice.
Seulement celui-ci est si crédible, si intense, si douloureux dans sa description d’une contrition qui peut parler à tous, qu’il fait détourner la tête aux plus valeureux. Peau arrachée du pouce au poignet, orteils dépiautés et plaies purulentes, rien ne nous est épargné, et l’on s’attache si facilement à cette héroïne perdue et maltraitée par la vie, que l’identification est d’autant plus facile.
Eat est un film dans lequel on entre de plein pied, et duquel on ne ressort pas indemne, triste et désespéré, malgré la photo colorée et acidulée qui ne le quitte jamais, un film glauque et violent, mais débordant d’une fureur qui devrait parler, encore plus qu’aux cinéphiles, aux techniciens et acteurs du cinéma.
Je sors groggy de la salle, épuisé, et je n’ai qu’une envie, rentrer me reposer. Et c’est à ce moment que je me fais la réflexion : était-ce si judicieux de terminer la nuit avec un film pareil, juste avant de proposer aux festivaliers un petit déjeuner gratuit ?
Par Corvis