GRENOBLE, DERNIER JOUR
Wahhhh, quelle heure il est ?
9h30, AM.
Wow, déjà ?
Non mais j’avance un peu…
Ca y est, on est officiellement crevés, ça va être très dur la dernière journée, avec ce vent qui n’en finit pas de nous congeler les aspérités. Et pourtant il faut redoubler de courage, car la journée de clôture s’annonce chargée.
Au programme, des courts métrages, Maxime Lachaud en dédicace, et 4 films dont un diptyque grindhouse pour terminer le festival.
Des courts métrages variés, de la fiction au documentaire, de l’humour frontal aux émotions subtiles, pour des films qui s’aventurent finalement plus loin que ce qu’on pourrait attendre de « Courts Maudits ».
Pour une poignée de Mollards est un petit film parodique non sensique, plus proche de la blague potache que du véritable court, pas désagréable mais un peu anecdotique.
Ninja Eliminator 4 : The French Connection, comme son nom l’indique, continue la fameuse saga québécoise parodiant les films de ninjas façon Godfrey Ho en l’exportant à Paris. Toujours aussi con, toujours aussi fun, toujours aussi drôle.
Leurre est un très court-métrage d’un jeune grenoblois, principalement axé sur l’ambiance et une pirouette finale, finalement moins gore qu’il n’en a l’air.
Parades, quant à lui, s’engouffre dans le genre peu représenté du court-métrage documentaire, et suit, entre interviews et chorégraphies silencieuses, le quotidien et les pensées de deux éboueurs aixois.
Jonathan’s Chest, court métrage franco-canadien, partait sur de très bonnes bases, avec une ambiance mystérieuse et une tension doucereuse, mais s’écroule in fine en oubliant de proposer une résolution ou même un semblant d’histoire à cette atmosphère intéressante.
L’excellent L’Assistante, enfin, suit les occupations mal acceptées d’une auxiliaire de vie qui aide ses patients au-delà de la norme. Un très très beau court-métrage, sensitif et charnel qui bouscule les idées reçues, et qui prouve l’éclectisme de cette sélection.
Après ça, dilemme. On doit aller filmer les dédicaces de l’ami Maxime Lachaud dans une librairie à proximité (et je dois aussi me faire signer mon exemplaire perso de Redneck Movies), mais on a aussi très envie d’assister à la projection de l’attendu Electric Boogaloo en compétition, documentaire objectif et primesautier sur la vie et mort de la Cannon. Les dédicaces se terminant à 18h, soit moins de 30 mn après la fin prévue du docu, il faudrait se bouger les miches.
Seulement, une fois n’est pas coutume, le film a du mal à partir. Plus d’un quart d’heure après le début de la séance, des problèmes techniques empêchent Electric Boogaloo de démarrer. Jamais on ne sera à temps à la librairie après la séance.
La mort dans l’âme, je décide de rater le début du film, pour faire quelques plans des dédicaces. À quelque chose malheur est bon, puisque ça me permettra, sur le chemin, de croiser l’improbable : une fanfare de cuivres interprétant à tue-tête les plus grand hits de Mylène Farmer version ska.
Ah Grenoble…
Mon exemplaire récupéré (et quelques livres de la collection gore achetés au passage, on ne se refait pas) je file à la salle Juliet Berto en espérant ne pas avoir raté trop de bobines. Au final, j’aurai manqué 20 minutes du film (quand j’entre dans la salle, c’est pour voir Bo Derek toute nue monter à cheval dans Boléro), mais je peux quand même vous parler du film sans trop dire de conneries.
Electric Boogaloo c’est donc le pendant inverse des Go-Go Boys produit par les intéressés eux-mêmes : un témoignage sans chichis et avec beaucoup de verve sur la grandeur et la décadence de la firme de Menahem Golan et Yoran Globus, la bien nommée Cannon, estampillée par les connaisseurs « plus grande usine à nanars des 80’s ». On aurait pu craindre un démontage en règle de la maison de production, secrets inavouables et anecdotes cyniques à l’appui, il n’en est rien. Si bien sûr, à l’inverse de l’opus glorificateur sorti précédemment, le réalisateur se permet de dévoiler leur manière de faire très borderline, et les aveux honnêtes des artistes ayant participé à leur projet, le film reste dans son ensemble bon enfant. On y apprend les magouilles, les arrangements juridiques, le rythme stakhanoviste de production et leur fonctionnement parfois presque mafieux, mais leur volonté d’en donner pour son argent au public, leur outrance, et une certaine naïveté, ne peuvent qu’emporter l’adhésion. Spécialistes de la série B bancale, certes, et pourtant la vision de ce documentaire donne une irrépressible envie de découvrir leurs films, aidés en cela par le montage, entre images d’archives et extraits, et par les nombreuses, très nombreuses interviews d’acteurs, scénaristes et réalisateurs (Boaz Davinson, Albert Pyun, Michael Dudikoff, Dolph Lundgren…) Trop nombreuses presque, puisque certains spectateurs ont trouvé le film intéressant mais un peu trop épileptique et haché.
Effectivement c’est un documentaire à l’américaine, extrêmement rythmé, syncopé même, qui passe d’un thème à l’autre, d’un film à l’autre, d’une interview à l’autre sans prévenir, comme pour créer une mélodie. Les interviewés ne répondant pas toujours la même chose, ce qui reste fidèle à la ligne de conduite de la Cannon, on a même parfois des réponses qui s’entrechoquent, et des intervenant qui finissent les phrases les uns des autres. Magie du montage.
Si vous cherchez un documentaire posé réfléchi, Electric Boogaloo risque indubitablement de vous décontenancer. C’est un kaléidoscope d’images, d’anecdotes et de révélations, qui peut essouffler, certes, mais qui a le mérite de poser un regard neutre et bienveillant sur ce témoin d’une autre époque, qui n’hésitait pas à lancer un film sur le même thème que ses concurrents, histoire de leur couper l’herbe sous le pied et de sortir leur production en premier.
Et vous voulez savoir la meilleure ? Quand Mark Hartley a demandé à Golan et Globus de participer à l’aventure, ceux-ci ont refusé catégoriquement, et se sont empressé de produire leur propre film… qu’ils ont sorti avant Electric Boogaloo…
Fidèles à eux-mêmes jusqu’au bout.
Dernier film de la compétition (et encore un film français) (et encore un film avec des fesses), Catégorie X nous emmène sur le tournage d’un film porno, entre instants volés et désillusions face caméra, pour un constat amère de l’état de leur métier. Se rapprochant plus du making of sur le vif que d’un réel documentaire étudié, le réalisateur Frédéric Ambroisine s’est invité sur le plateau des Caresses de l’aube de Jack Tyler, pour en capter l’atmosphère et sonder les acteurs sur leur vision de l’industrie. Des échanges sans tabous mais avec beaucoup de délicatesse qui offrent un regard neuf sur un monde encore ghettoïsé et mal compris. Ou comment découvrir que l’univers du porno n’est pas une industrie glauque à deux doigts du proxénétisme, et n’est plus l’eldorado d’argent facile qui faisait miroiter des rêves de stupre aux jeunes de bonne et mauvaise famille. En 50 petites minutes, avec les témoignages d’ex-artistes porno comme Gérard Kikoine ou Nina Roberts, de vieux briscards toujours en activité tels que Bruno SX, Titof (pas l’humoriste, celui qui joue bien la comédie) ou Phil Holliday ou de jeunes recrues, sans oublier le réalisateur Jack Tyler lui même, Fred Ambroisine nous fait découvrir le porno à l’échelle humaine, avec son lot de fou-rires, de fierté et de désillusions. Avec les films du hardeur HPG (Les mouvements du bassin, Il n’y a pas de rapport sexuel), les actes non simulés des films de Jean-Marc Barr (Chroniques sexuelles d’une famille d’aujourd’hui) ou Laurent Bouhnik (Q), la restauration et ressortie de pornos cultes, et maintenant ce Catégorie X, il semble que la France accepte peu à peu ce pan de l’industrie cinématographique pas moins noble qu’un autre, ses thèmes, son ton, et calme petit à petit sa pudeur excessive et ses années de censure à la morale mal placée.
Avec les livres et interventions de Christophe Bier, les séances spéciales dans les festivals tels que les Maudits Films, voire la création d’événements uniquement centrés sur le sexe et la pornographie, on peut souhaiter à l’art de la fesse une réhabilitation et de nombreuses années de jouissance.
À peine sortis qu’il faut, le retard pris se creusant, se précipiter à nouveau dans la salle. Car le festival touche à sa fin, il est maintenant temps de passer au clou de la manifestation : la soirée grindhouse.
Toujours friand de gourmandises à voir impérativement dans une salle comble avec une bonne dose de second degré, le festival nous a dégoté, pour clore cette semaine, une double programmation de bisseries nanardesques à faire pâlir Bruno Matéi. Nécessitant un public bien réveillé, apte à apprécier un film qui tient en haleine moins par ses qualités que par l’absence de celles-ci, il va falloir faire un grand effort sur soi même pour ne pas sombrer en pleine projection, entre deux facepalms hilares.
Mais avant cela, il convient de clôturer les festivités avec les résultats des compétitions, et les remerciements d’usage. Après un grand merci à plein de monde, et notamment à la ville de Grenoble qui, selon Karel, « nous aide, bizarrement, mais nous aide… », on fait monter le Jury et on annonce les lauréats.
Prix du public court-métrages : Ninja Eliminator 4 (pas étonnant, quand le public est plutôt jeune, cette pépite là est sûre de faire fureur)
Prix du public : Dealer (pas étonnant non plus, les rares spectateurs qui avaient fait l’effort de venir le voir ont tous adoré)
Et enfin pour la Grande Malédiction 2015 des Maudits Films, c’est la victoire sans surprise du magnifique Der Samurai qui a soufflé le jury, et qui confirme sa flatteuse réputation après Mauvais Genre.
Après tout ça, place au grindhouse, et c’est un programme de choix qui nous est proposé puisque la soirée commence avec, tenez-vous bien (tenez-vous mieux) : Sankukai, les Évadés de l’Espace, qui donnera son nom peu de temps après à la fameuse série dont le générique a bercé notre enfance au son refrain si entrainant (San Ku Kai ! San Ku Kai ! C’est la bataille ! C’est la bataille ! ).
Un nanar de première catégorie qui bouffe à tous les râteliers, mais surtout dans celui de Star Wars, qui venait de triompher sur les écrans. Alléché par le succès, la Toho s’engouffre dans la brèche sans demander son reste, et demande au vétéran Kinji Fukasaku (connu des spécialistes pour, L’Enfer de la violence, et des autres pour avoir réalisé un Battle Royale et demi) (il est mort pendant le tournage du second que son fils a terminé) de mettre en image ce rip-off improbable du premier opus de la trilogie de gros George, y incluant pour faire bonne mesure un peu de spiritualité new-age asiatique et un décorum flashy/sentai à faire rougir tous les Flash Gordon de la Terre.
On y retrouve tout ce qui a fait le succès d’Un Nouvel Espoir, la « princesse », le(s) jeune(s) naïfs qui vont se retrouver au milieu d’un conflit galactique, le robot rigolo qui fait de petits bruits, le mercenaire, la base des méchants de la taille d’une planète, la planète désertique, bref, toute la panoplie.
Une panoplie qui apparemment n’était pas suffisante, puisque les scénaristes y ajoute une histoire de noix naviguant dans l’espace pour désigner les élus (espace dans lequel on nage aisément, suffit juste de mettre un casque sur la tête), des costumes de samouraïs interstellaires en carton, et un mutant en mousse verte chouchouté par une sorcière sénile.
Pour faire bonne figure quoi.
Alors oui, c’est nul. Mais les space operas, c’est comme le sexe ou la pizza. Quand c’est bien fait, c’est super bon, quand c’est mal fait… c’est quand même vachement bon. D’autant que le film n’est pas dénué de bonnes idées, bien entendu noyées dans un marasme kitsch et non sensique qui allie le pire du cheap américain avec le meilleur du nawak asiatique (et une saveur de bis rital aussi, un peu).
Et je ne vous parle pas de la Version française !
En fait si, je vais vous en parler, vu que je terminerai sur cette réplique absolument somptueuse de l’ex soldat devenu mercenaire à son R2-D2 discount qui lui conseille d’arrêter de boire.
« Oh, écoute, tu ne vas pas jouer les robot-joie. »
De rien.
Bon, c’était aussi crevant que délicieux, mais on a tenu.
Et encore le pire meilleur est à venir…
Car après un court et très drôle résumé du festival par les Beaux-Ardeux (visible sur le site du festival www.festivaldesmauditsfilms.com), voici venu l’heure de l’ultime pelloche de cette 7ème édition, le grand, l’immense, le risible, le bien nommé : Yor, le chasseur du futur !
Pour appréhender Yor, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Nous sommes en 1983. Conan le barbare est sorti l’année précédente, avec le succès que l’on connaît, propulsant Arnold Schwarzenegger dans les stratosphères du star system. Un an plus tôt, c’était la Guerre du Feu de Jean-Jacques Annaud qui faisait un tabac international. À eux deux, et sans le vouloir, ils allaient créer un sous-genre aux facettes multiples, parmi les plus branques et bis du cinéma d’exploitation : le film en peau de bêtes. Simple rip-off de Conan (Kull le conquérant, Dar l’invincible, Les Barbarians), ou récits préhistoriques plus ou moins fantastiques (Ironmaster mais aussi l’excellent dessin animé Tygra, la glace et le feu), ils pullulent à cette époque bénie comme leurs compères les nukesploitations ou les zombie-flicks. Yor, le chasseur du futur, est tout ça, et bien plus encore.
Réalisé, comme la plupart des bisseries des 80’s, par un italien tentant de singer l’Amérique, en l’occurrence Antonio Margheriti (réalisateur de La Vierge de Nuremberg ou encore La Sorcière Sanglante, rebaptisé pour l’occasion Anthony M. Dawson), Yor accomplit l’exploit invraisemblable de commencer comme un sous Conan préhistorique (dinosaures en latex à l’appui) et de se terminer comme un ersatz mal dégrossi de Star Wars (encore lui !).
Ne me demandez pas comment c’est possible, 5 jours plus tard je me pose toujours la question. L’attirail habituel est de sorti, peaux de bêtes seyantes, maquillage impeccable et permanentes peroxydées, le tout parsemé de rencontres improbables et de scènes d’action dignes de la WWE. Il faut dire que Reb Brown (premier Captain America en couleur), avec ses muscles huileux et son expression de ravi de la crèche, ne fait rien pour arranger les choses. Pourtant c’est bien, encore une fois, ce qui fait le charme et l’humour incroyable du film. Dès les prémices de l’histoire, qui voit un chasseur au physique d’aryen se demander d’où il vient, dans un monde préhistorique où tout le monde est brun, tout est fait pour une bonne tranche de rigolade. Et quand, petit à petit, le film glisse vers la science-fiction en carton pâte, faux empereur Ming et civilisation de blondinets en pyjama à l’appui, on s’esclaffe plus souvent qu’à son tour. Pourtant il y a, en français, un sacré casting vocal. Richard Darbois (Harrison Ford) se charge de doubler le héros, Céline Montsarrat (Julia Roberts) s’occupe d’Ena, mystérieuse femme semblable à Yor, et on retrouve même Pierre « Doc Brown » Hatet en chef d’homo-sapiens barbus et sadiques.
Bref, Yor est un gros bonbon crétin mais plein de bonne volonté, garni de scènes improbables et de répliques cultes malgré elles. Quoi de mieux pour terminer un festival qui aura brillé par son ambiance et la versatilité de sa programmation ?
Une fois tout ça fini, pas le temps de décompresser !
Enfin si, nous on pourrait, mais l’équipe, elle, doit encore faire la fête, avec tous les bénévoles et les invités, et faire la fête, croyez moi, c’est du boulot (une pensée à Lisa des Beaux-Ardeux, qui passa sa soirée à terminer l’ultime montage vidéo du festival).
On a eu tellement de mal à choper Karel pour une interview express, qu’une fois parti, je vous le donne en mille… on a loupé le dernier tram.
Préférant terminer cette review sur une note positive, et de peur de choquer les plus vieux et de donner des idées aux plus jeunes, je vous ferais grâce des préconisations scabreuses à base de génitrice péripatéticienne que j’ai hurlé à la Terre entière, et vous dit à bientôt pour de nouvelles aventures.
Par Corvis