GRENOBLE, JOUR 1
On nous avait prévenu : couvrez-vous, il a neigé.
Et force est de constater qu’on ne nous a pas menti. À notre arrivée, nous faisons face à un fin manteau blanc posé sur la ville, et à des montagnes baignées de nuages. À en regretter presque d’avoir prévu de passer la majeure partie de son temps dans une salle obscure.
À peine installé, il faut penser à se rendre sur nos lieux de perdition de la semaine. Nous logeons en dehors de la ville, et chaque jour nécessitera un trajet aller/retour en tram + marche. De quoi aiguiser l’appétit aussi bien gastrique que cinématographique.
Après un petit coucou à l’adorable équipe du festival (oui, on est privilégié, prout), direction la jolie salle Juliette Berto où auront lieu toutes les projections.
Et c’est peu dire que cette soirée d’ouverture a du succès, la salle est remplie. Le thème de la soirée est pourtant particulier, avec ce double programme qui porte haut l’étendard du porno gay. Pensez donc, nous allons avoir droit à une soirée d’ouverture spéciale Bruce LaBruce. Ce réalisateur de porno américain, militant homosexuel, artiste convaincu et touche à tout assez génial, a les faveurs d’un documentaire réalisé par Angélique Bosio (déjà auteure d’un excellent Like your Idols) et produit et distribué par Le Chat qui fume. C’est d’ailleurs le gérant de la boite, l’aussi gentil que barbu Stéphane Bouyer, qui présente le film et sa réalisatrice, accompagné d’Eric Peretti, spécialiste du cinéma d’exploitation américain et moulin à paroles passionnant, qui présentera à grand renfort d’anecdotes inédites la quasi totalité des films de la rétrospective.
The Advocate of Fagdom, en plus d’être un plaidoyer pour ce réalisateur hors-norme qui commence seulement à se frayer un chemin vers la reconnaissance artistique du grand public, est une plongée captivante ans l’univers du porno gay auteurisant et décalé. Un monde que peu d’entre nous connaissent autrement que par des on-dits, et qui s’avère, entre les mains de Bruce LaBruce en tout cas, bien loin de l’étalage de boucher habituel de l’industrie pornographique, qu’elle soit hétéro ou homosexuelle. Il faut dire que Bruce est un vieux briscard. Il a commencé dans les années 90, en pellicule, et en noir et blanc, alors que le film coquin commençait sa lente aseptisation. Grace à ce documentaire, on découvre du coup la carrière (loin d’être finie, depuis la sortie du film, LaBruce a connu la joie des festivals mainstream avec LA Zombie et Gerontophilia) d’un cinéaste iconoclaste, rentre dans le lard, provocateur, mais toujours nanti d’un humour féroce et de véritables velléités artistiques. Grace à de nombreux extraits et interviews (dont John Waters, Harmony Korine, Gust Van Sant, excusez du peu) on peut suivre le parcours déjanté (il faut voir les terroristes sexuels de Raspberry Reich ou la satire mordante de Skin Flick) d’un esthète du porno, entre images d’archives, extraits de films et performances détonantes, et se prendre de passion pour cet univers, quelles que soient son attirance pour le porno et ses préférences sexuelles. Un excellent docu qui a fait un bide en dvd, et qu’il est grand temps de réhabiliter, pour peu que l’on ne craigne pas de contempler des forêts de pénis pendant 92 minutes.
Des pénis on en voit curieusement moins dans le second film de la soirée, pourtant toujours dans la même veine puisqu’il s’agit d’Hustler White, l’un des plus fameux films du réalisateur. Une plongée dans le gaycosme de Los Angeles en pleines 90’s, qui voit un écrivain tout juste arrivé tomber amoureux d’un prostitué insaisissable, tout en prenant des notes sur la vie du quartier et de ses occupants. C’est pourtant bien un porno, pas de doute là-dessus, qui brode un collier de scénettes trash autour de ce fil rouge, pour autant de facettes de la sexualité homosexuelle. Seulement il s’agit moins pour le réalisateur de s’attarder en gros plans cliniques ou de faire durer les scènes de sexe dans un pur but masturbatoire, que de parler de sexualité. Si l’on trouve bien quelques pénis érigés et les certitudes que les rapports ne sont pas simulés, on n’est pas dans la pornographie habituelle, et, si l’œuvre est parsemée de séquences très crues, et parfois inconfortables (en vrac du BDSM, du gang bang masculin ou de l’acrotomophilie – z’avez qu’à chercher la définition sur wikipedia bande de moules-), Bruce LaBruce n’oublie jamais d’y incorporer une certaine distanciation et beaucoup d’humour, pour finalement réaliser un film contre toute attente poétique et romantique, sans jamais oublier d’être pertinent sur son sujet. Comme quoi le sujet d’un film ne définit pas toujours le public auquel il pourrait s’adresser.
À peine le temps de souffler qu’il faut se rentrer de peur de rater le dernier tram. Le froid est doux, l’ambiance est chaude, ça va être dur de s’endormir en attendant le lendemain…
GRENOBLE, JOUR 2
L’avantage avec le festival des maudits films, c’est qu’excepté le samedi, les projections ne commencent qu’à 18h, ce qui laisse le temps de décompresser et de se préparer à l’avalanche cinéphilique suivante.
Bon, là c’est un mauvais exemple, parce qu’on est mercredi, et que dans l’après-midi il y a la séance des courts lycéens. Ceci dit je ne pourrais pas vous en parler puisqu’on a sciemment décidé de faire l’impasse pour préparer notre semaine (car on a du boulot, oui monsieur).
Nous filons tout de même à Juliet Berto, puisqu’à lieu la diffusion assez attendue de Fièvre (aka Horsehead pour l’international) de Romain Basset, nouvelle incursion française dans le cinéma de genre, avec au générique Catriona McCall et l’indispensable Philippe Nahon, et des effets de maquillage de l’omniprésent David Scherer. Un long métrage calibré pour l’exportation au casting international où tout le monde parle anglais (oui, même Philippe) mais qui cherche à garder ses racines gauloises. Une histoire de rêves tortueux et de secrets familiaux bien gardés, en huis-clos, teintée d’images oniriques et de visions cauchemardesques qui convoquent aussi bien Jodorowsky et Les Griffes de la Nuit que la saga vidéoludique Soulcalibur sur la fin.
Une initiative pleine de bonnes intentions, mais on sait malheureusement ce qui en est pavé. J’ai plutôt apprécié le film, à chaud, pour certaines qualités esthétiques, pour une ambiance et une structure originale qui empêchent de nier l’implication du réalisateur/scénariste. Avec le recul, je suivrais plutôt l’avis de mes congénères (voire de mes congères vu que la neige est partie et qu’un froid glacial s’est abattu sur Grenoble), malgré une envie certaine et de bonnes idées de départ, le film traîne en longueur et souffre d’un rythme pesant, peu aidé par une héroïne (Lily-Fleur Pointeaux, vue dans une tripotée de séries dont Platane) mignonne comme un cœur mais pas vraiment charismatique. À cette lourdeur relative s’ajoute un traitement visuel qui tutoie parfois le sublime (quand bien même il rappellerait plus souvent les jeux vidéo que le Caravage) mais frôle bien plus souvent l’esthétique clipesque de mauvais goût. On comprend l’intention, mais le résultat s’avère plus artificiel qu’autre chose, ce qui est loin d’être efficace quand le scénario est aussi cyclique qu’obscur, pour au final ne pas aboutir sur quelque chose de prenant, à la hauteur des promesses du métrage.
Pas vraiment le temps de pester de toute façon, à peine celui de passer à la boutique du festival, dans le hall, garni de dvds d’Artus et du Chat qui fume (tous deux partenaires de l’événement) et de bouquins de Rouge Profond (l’éditeur spécialisé dans le cinéma) et des Artistes Fous Associés (hop petite pub gratuite venez voir nos ouvrages disponibles sur le site de l’asso lesartistesfous.com). Ensuite, la soirée continue, et assoie définitivement pour cette année un thème que ne reniera pas Karel Quistrebert l’organisatrice en chef : du cul du cul du cul !
Effectivement, il n’y aura pas un seul jour sans pénis en érection (dans les films hein, pas dans la salle) (quoique) et pas moins de 5 pornos ou films assimilés à l’industrie. Petits coquins…
Le film suivant ne déroge pas à cette règle, puisqu’il s’agit de Change pas de main, film politique (si si, regardez le jeu de mot dans le titre), enquête policière, comédie dramatique, et bien sûr pelloche pornographique de l’âge d’or du cinéma de fesses, et unique incursion du réalisateur Paul Vecchiali dans l’univers de la pornographie. Un excellent long-métrage, tortueux à souhait, à la fois glauque et sensuel (on y découvre aussi bien nécrophilie et sextape enregistrée à l’insu de protagonistes drogués que strip-tease sexy façon cabaret parisien et scène saphique entre les deux héroïnes), plutôt soft (les scènes de sexe n’étant pas systématiquement pornographiques) et illustrant des sujets aussi sérieux que les manigances politiques et les démons de la guerre d’Algérie. Un témoin de l’âge d’or du cinéma coquinou, où le porno rimait encore en premier lieu avec cinéma, et ne se résumait pas à un étalage de chairs à peine prompt à servir de support visuel masturbatoire. Ici les dialogues sonnent comme du Audiard, les acteurs pensent à leur rôle avant de penser quéquette, et le scénario est plus touffu (arrêtez de pouffer bêtement) que bon nombre de téléfilms policiers sortis sur le petit écran depuis 15 ans. Quant à Paul Vecchiali, il est loin d’être manchot (d’ailleurs à 84 printemps il continue de tourner), et il n’en est pas non plus à son coup d’essai. À l’époque de Change pas de main, en 1974, le pépère a déjà une demi-douzaine de films à son actif, et Truffaut lui même disait de lui qu’il était « le seul héritier de Jean Renoir ». Du coup, et malgré les contraintes budgétaires de ce genre de production, il pense avant tout à réaliser un film de cinéma avant de faire un porno, et utilise à merveille ses mouvements de caméra, ses cadrages, et son montage (notamment lors d’une scène de « course-poursuite » dangereuse en pleine orgie). Bref, comme beaucoup de pelloches de l’époque, Change pas de main est un film de fesses à voir et à apprécier, même si on n’a pas envie de se tripoter la nouille.
Une raison suffisante pour que la soirée continue, avec un question/réponse passionnant en compagnie d’Emmanuelle Lacalm de chez Shellac, distributeur cinéma qui a restauré le film et qui s’occupera de sa ressortie d’ici quelques semaines, et surtout de Christophe Bier, bien connu des cinéphiles bisseux, et grand érudit du cinéma porno (au moins français, puisqu’il était l’auteur du Dictionnaire des longs-métrages français pornographiques et érotiques en 16 mm et 35 mm, une bible de presque 1200 pages). Une heure et quart d’anecdotes et de débat autour d’un genre encore ghettoisé (pensez donc, il n’existe plus qu’une seule salle dédiée au porno en Europe, le Beverly à Paris) et sans doute incompris par un grand nombre de spectateurs. Heureusement, les festivals veillent au grain, et de plus en plus d’entre eux programment des pornos ou invitent des personnalités du X (En 2014 s’est même créé à Paris le Festival du film de Fesse), une sacré gageure dans un paysage culturel français qui prône la liberté d’expression tout en fustigeant ce qui dépasse du cadre d’une bienséance subjective.
Les Maudits Films portent bien leur nom finalement.
Par Corvis