avril 24, 2024

L’Âme des Guerriers

Titre Original : Once Were Warriors

De : Lee Tamahori

Avec Rena Owen, Pete Smith, Calvin Tuteao, George Henare

Année : 1995

Pays : Nouvelle-Zélande

Genre : Drame

Résumé :

La famille de Jake et Beth Heke vit dans une banlieue pauvre de Auckland, en Nouvelle-Zélande. La perte de son travail a rendu Jake alcoolique et brutal. Il fait peur à ses 5 enfants et sa femme, en fière descendante Maori, s’oppose à ses crises. Mais l’unité de la famille va bientôt voler en éclats dans une escalade de violence dont personne ne sortira indemne.

Avis :

Les années 1990 auront été marquées par l’essor du cinéma néo-zélandais sur la scène internationale. On peut même parler d’un véritable avènement. Hormis quelques exceptions, le pays du long nuage blanc a surtout produit des documentaires. Cette période s’est distinguée, entre autres, par la sortie de La Leçon de piano et Créatures célestes. En parallèle, l’actualité locale fait l’éloge d’un best-seller signé Alan Duff : L’Âme des guerriers. Sa notoriété est telle que le projet d’une adaptation cinématographique se lance rapidement. Bien loin des attentes de l’équipe de tournage, le succès critique et commercial surprend autant qu’il est légitime.

Contrairement aux apparences, le premier film de Lee Tamahori ne se penche pas sur la culture maorie à proprement parler, comme a pu le faire auparavant Utu. Certes, elle est bien présente avec l’origine ethnique des protagonistes et les tatouages que certains arborent. Pourtant, l’influence reste assimilée à un passé révolu qui ne survit qu’à travers contes et légendes. Des histoires que l’on se raconte non avec nostalgie, mais avec fatalisme. On a l’impression que le détachement à ses racines débouche inévitablement vers la marginalisation. Les valeurs inhérentes, elles, s’étiolent devant un manque de perspective flagrant.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit, du moins en partie : dépeindre le quotidien du peuple maori dans un contexte contemporain. Il n’est donc pas question d’exposer une image enchanteresse, comme l’augure le premier plan en trompe-l’œil. L’atmosphère chatoyante des grands espaces néo-zélandais s’efface alors devant la minéralité d’un environnement urbain suffocant. Entre deux axes périphériques, l’intrigue ghettoïse les personnages dans un cadre proche de l’indigence. Ce dernier est autant la résultante d’une pauvreté extrême que d’un abandon social. À ce titre, la photographie renvoie parfaitement la morosité ambiante à travers des teintes mornes, des nuances sombres.

La tonalité générale est à l’aune des sujets évoqués et surtout d’un traitement brut de décoffrage. En cela, le récit s’avère à la fois poignant et implacable. La violence conjugale ne fait ici l’objet d’aucune concession avec un rapport de force déséquilibré. Les coups sont d’une brutalité rare et surviennent pour des désaccords anecdotiques. La résultante de ces confrontations presque perpétuelles découle majoritairement d’un changement de comportement dû à l’alcoolisme. Ce qui exacerbe les tensions et la propension de Jake pour lever la main (ou plus souvent le poing) en plus d’être un pilier de bar aigri, frustré et égocentrique.

Ce contexte âpre frappe de plein fouet les enfants, tour à tour délaissés, en proie à la délinquance ou à une errance voilée par la drogue. Pour « parfaire » ce tableau déliquescent, on évoque aussi le viol, la pédophilie et le suicide. Là encore, l’ensemble est avancé sans langue de bois et de manière soudaine. De prime abord, la critique sur les conditions de vie du peuple maori est évidente. Cela vaut notamment pour le racisme et les difficultés d’intégration professionnelle. Puis, le drame social s’efface progressivement pour se focaliser vers le drame familial. Le propos est alors bien plus universel qu’escompté, car il est susceptible de toucher tous les profils de ménage, toutes les classes.

De l’amour à la haine, de la complicité à la mésentente, L’Âme des guerriers constitue une pierre angulaire du cinéma néo-zélandais tout en étant un excellent film à part entière. Au même titre que le roman, le film de Lee Tamahori interpelle par sa violence crue et ses tourments psychologiques à travers un quotidien dénué d’espoir. Le nihilisme latent est autant évocateur d’une culture maorie dénigrée par la société que par la dureté des sujets avancés. Alcoolisme, maltraitance conjugale, gang, viol et suicide… La plongée est progressive, presque insidieuse. Ce qui rend l’incursion d’autant plus éprouvante qu’elle est remarquable ; eu égard au casting, à la mise en scène et au scénario. Une œuvre réaliste profondément empathique.

Note : 17/20

Par Dante

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