mars 29, 2024

Jessie

Titre Original : Gerald’s Game

De : Mike Flanagan

Avec Carla Gugino, Bruce Greenwood, Henry Thomas, Carel Struycken

Année: 2017

Pays: Etats-Unis

Genre: Thriller, Horreur

Résumé :

Quand le jeu coquin de son mari tourne mal, Jessie, menottée au lit d’un chalet isolé, affronte d’étranges visions, de sombres secrets et un terrible dilemme.

Avis :

Adapter une œuvre littéraire, ce n’est pas facile. Il faut capter l’essence même du récit et essayer d’être fidèle à une vision qui n’est pas forcément la sienne. Et Stephen King fait partie de ces auteurs qui sont adaptés à tire larigot et bien souvent, l’ensemble tombe à plat. Si son copain Mick Garris s’est évertué à être le plus fidèle possible aux œuvres du maître, ça ne vole jamais bien haut et ça manque de souffle. Si on excepte Christine de John Carpenter ou encore Shining de Stanley Kubrick (version réfutée par King himself), et Stand by Me de Rob Reiner, rares sont les réalisateurs à avoir fait plusieurs adaptations réussies de l’auteur. A ce jour, Frank Darabont semble être le seul à avoir vraiment capté l’essence même des livres de King, comme en atteste La Ligne Verte, Les Evadés ou encore The Mist. Des films très réussis qui font honneur à l’œuvre globale de l’écrivain. Mais aujourd’hui, on peut compter sur Mike Flanagan qui, avant de nous refiler une suite honorable à Shining avec Doctor Sleep (et le pari était loin d’être gagné), avait déjà fait amende honorable avec Jessie, que l’on aurait cru inadaptable à cause de son immobilisme.

L’histoire, tout le monde, ou presque, la connait. Gerald et Jessie décident de partir un weekend dans une cabane, loin de tout, pour redonner du piment à leur couple. Gerald attache alors sa femme au lit avec des menottes, mais meurt d’une crise cardiaque. Jessie se retrouve alors seule, piégée dans un lit, avec aucune aide à portée de voix. Ce pitch de base, relativement intéressant à l’écrit pour s’enfoncer dans la psyché d’une femme en souffrance, reste très complexe à mettre en images, notamment car l’action du film ne se déroute qu’en un seul lieu, un lit, dans une maison perdue au milieu de nulle part. Pour autant, Mike Flanagan va en profiter pour dresser le portrait d’une femme qui a subi toute sa vie et qui va se révéler plus forte que ce qu’elle pensait. En jouant constamment avec ses visions, ses cauchemars et surtout son passé, le réalisateur va faire de ce film une petite réussite où l’on va apprendre à connaître une femme blessée, qui a toujours courbé l’échine face aux hommes qu’elle aimait, pour son confort et une facilité de vie qui ne lui convient pas forcément. Fortement féministe dans le portrait dressé d’une femme qui se révèle et qui va découvrir qu’elle n’a besoin de personne, et surtout pas des hommes, pour grandir et se révéler, le réalisateur peaufine le trait en citant le King dans le texte sur la fin, expliquant que les hommes qu’elle aimait sont devenus les monstres contre lesquels ils devaient la protéger. Un beau sous-texte sur le silence de ces femmes battues, physiquement comme psychologiquement.

Afin d’éviter l’ennui et de plonger dans un huis clos pas forcément réjouissant et un peu mou du genou, Mike Flanagan va s’appuyer sur deux acteurs absolument géniaux, qui portent le film avec une certaine sensibilité. Si Bruce Greenwood est parfait en salopard de première, misogyne et dominateur (d’ailleurs, on va souvent le voir en contre-plongée), c’est surtout la sublime Carla Gugino qui lui tient la dragée haute. A la fois belle et touchante, elle va se révéler forte et combattante, trouvant dans ce combat contre ses démons, une forme de rédemption pour découvrir qu’elle n’a besoin de personne. Les seconds rôles seront aussi importants, aussi bien Henry Thomas, absolument imbuvable en père manipulateur et pédophile, que la jeune Chiara Aurelia qui joue une Jessie jeune, innocente et qui détiendra toutes les réponses aux questions de l’héroïne. Tout ce petit monde est relativement bien dirigé pour faire de Jessie un film poignant, âpre et qui sait où faire mal. En donnant de l’épaisseur à son héroïne, en allant piocher dans son passé, le cinéaste nous fait ressentir de l’empathie pour elle, qui est vraiment une victime plus qu’autre chose et qui va devoir se débrouiller pour ne pas mourir.

Et histoire d’enfoncer le clou, Mike Flanagan va ponctuer son film de quelques fulgurances gores qui vont faire mal, très mal. Souffrant aussi bien physiquement que psychologiquement, Jessie va devoir s’automutiler pour se sortir de cette impasse. Afin de mieux nous prendre aux tripes, le réalisateur va s’appesantir sur un moment gore du film, le seul, où l’on va vraiment souffrir avec l’héroïne. N’hésitant pas à faire un gros plan, à rallonger cette séquence de quelques secondes, Mike Flanagan nous montre à quel point on est attaché à cette femme qui va tout faire pour s’en sortir, quitte à se faire mal. Outre l’aspect physique et psychologique, le film prend aussi une dimension presque métaphysique lorsque Jessie voit un homme étrange dans la maison. L’homme au clair de lune est personnifié comme deux choses précises. En premier lieu, la mort, qui vient collecter des souvenirs de ceux qui vont partir. Monstrueux, effrayant et iconisé comme un boogeyman sadique, c’est la première vision que l’on va se faire de ce personnage qui, sur la fin, prend vraiment corps pour devenir un monstre de chair et de sang, mais bien humain, difforme (acromégalie), qui ressemble à s’y méprendre à son père et à son mari, deux autres monstres plus « beaux ».

Bien évidemment, on retrouve tous les tics de réalisation de Mike Flanagan dans cette œuvre. De longs travellings vers l’avant, une symétrie quasi parfaite sur des plans fixes qui servent de métaphore, des saturations de couleur sur certains plans, là aussi pour appuyer un message fort (ici, l’éclipse), Jessie ne déroge pas à la règle du réalisateur qui bouffe un peu à tous les râteliers pour trouver une patte identitaire. Alors certes, c’est parfois un peu redondant, ça fait beaucoup de clin d’œil à d’autres cinéastes, mais c’est fait de façon sincère et sans jamais dénaturer l’œuvre.

Au final, Jessie est un film relativement fidèle au bouquin de base. Mike Flanagan est ultra respectueux de l’œuvre de Stephen King et arrive à faire de l’immobilisme de son héroïne un atout pour mieux fouiller son passé, dans lequel elle trouvera la force nécessaire pour se battre et s’en sortir. Engagement féministe où les hommes sont des monstres, le cinéaste n’en fait pas des caisses malgré une surenchère d’explications sur la fin et arrive à aboutir à un film singulier, porté par une Carla Gugino bluffante. Bref, Jessie est une production Netflix qui, pour une fois, vaut le coup !

Note : 14/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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