avril 19, 2024

L’Ange de la Rue

Titre Original : Street Angel

De : Frank Borzage

Avec Janet Gaynor, Charles Farrell, Alberto Rabagliati

Année : 1928

Pays : Etats-Unis

Genre : Comédie, Drame

Résumé :

Maria, une jeune femme pauvre, qui a volé des médicaments pour sa mère malade, est poursuivie par la police dans les rues de Naples. Elle trouve refuge chez Charlie, un peintre qui lui demande de poser pour lui.

Avis :

Après le succès critique et public de L’Heure suprême, la carrière de Frank Borzage est à son apogée. La qualité du film a même fait un émule de renom en la personne de F.W. Murnau qui, pour l’anecdote, aurait préféré tourner le précédent métrage évoqué à L’Aurore. Mais la relation entre Borzage et Murnau reste teintée d’ententes cordiales et d’un soupçon de rivalité. Les deux hommes s’admirent mutuellement et n’hésitent pas à « emprunter » aussi bien les décors que les acteurs. On songe notamment à l’un des couples phares et mythiques de l’époque : Janet Gaynor et Charles Farrell.

Si Frank Borzage a désormais les coudées franches au sein du studio de William Fox, son précédent succès l’encourage à réitérer un exercice similaire. À bien des égards, L’Ange de la rue peut être considéré comme une vraie-fausse suite de son prédécesseur. Et il ne suffit pas de s’attarder sur la tête d’affiche ou l’équipe derrière la production pour constater une telle corrélation entre les deux métrages. On songe à une caractérisation semblable où la pauvreté est un facteur de réunion et non de dissension entre les amants. La misère reste également ostensible à travers une vision de Naples peu avenante.

Ce n’est pas tant les bas-fonds et le clivage avec différentes strates sociales qui interpellent, mais plutôt une grande précarité, proche de l’indigence. Tout comme pour L’Heure suprême, on constate un contraste entre un contexte somme toute délétère et l’insouciance teintée de légèreté des protagonistes. Là encore, le couple Gaynor/Farrell présente une véritable alchimie à l’écran, à tel point que la présence de l’un est presque indissociable de l’autre. À cela s’ajoute un humour pudique qui vient atténuer l’autoritarisme latent qui émane des forces de l’ordre, elle-même traduite par des formes géométriques assez marquées dans certains plans. Sans doute pour dénoncer la rigidité des carabiniers et critiquer le régime en place.

Sous couvert d’un aspect itinérant initié en début d’histoire, on évolue dans un cadre européen. On délaisse la France pour l’Italie, mais on retrouve cette appropriation fantasmée, ayant également fait l’objet d’une reconstitution dans les studios de Hollywood. Si des repérages ont été effectués, ce choix tient à la volonté du réalisateur et, en filigrane, on devine quelques aléas tumultueux avec le régime de Mussolini. D’ailleurs, le film reste interdit en Italie avant de subir une coupe drastique de 40 minutes pour une sortie confidentielle. Le prétexte ? La prostitution, le racolage et la mendicité ne sont pas censés exister dans l’Italie de l’époque. Ou quand une dictature s’arroge les atours d’une utopie sous couvert de « pieux » mensonges…

Ceci étant, L’Ange de la rue n’est pas foncièrement une critique sociétale. Chez Borzage, le contexte agit en arrière-plan. Il reste une cause, l’instigateur d’une atmosphère, mais pas un moyen de faire évoluer le récit, encore moins un prétexte de dénonciation (ou de révélation). La base narrative met en avant la combativité et la persévérance des personnages face à l’adversité et aux épreuves de la vie. En ce sens, le titre fait autant référence à la prostitution qu’à l’idéalisation de l’être aimé, à sa rencontre fortuite. Sur ce dernier point, on appréciera une belle allégorie avec la peinture et le travail de faussaires qui ne peuvent altérer l’essence même de la toile où Gino a dessiné Angela (un nom prédestiné). Mais la complexité sous-jacente ne se cantonne pas à une idylle sans ombre.

Le mensonge par omission et la peur de perdre l’autre deviennent des freins à un plein épanouissement. Il en découle une certaine ironie lorsqu’on comprend que leurs premiers instants tenaient à une revalorisation mutuelle face aux rejets de la société. Une approche assez récurrente dans le cinéma de Borzage, à la différence prête qu’on ne parlera pas d’une échelle sociale à gravir, comme pour L’Heure suprême. Il s’agit plutôt d’une ascension émotionnelle où l’on évoque les nombreuses phases et épreuves qu’un couple est amené à traverser. Rejet, complicité, échange, apparence ou encore absence de l’autre.

Considéré comme perdu jusqu’aux années 1970, L’Ange de la rue peut relever du miracle. Sans rentrer dans des considérations religieuses, cette redécouverte interpelle aussi par l’excellence de la mise en scène. Peu de cinéastes sont en mesure de fournir un tel travail tout en préservant leur passion. Frank Borzage réalise son métrage comme Gino peint sa « Mona Lisa » : avec son cœur. S’il n’est nullement l’intention du film de sombrer dans des relents mielleux, l’intrigue démontre avec brio que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans l’autre, car elle serait vide de sens. En l’occurrence, l’amour inconditionnel rend vulnérable et prisonnier. Par un curieux coup du sort, ces sentiments deviennent ensuite libérateurs. Ceux-là mêmes qui permettent à l’âme de s’exprimer d’une si belle manière.

Note : 19,5/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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