mars 19, 2024

The Irishman

De : Martin Scorsese

Avec Robert De Niro, Joe Pesci, Al Pacino, Harvey Keitel

Année : 2019

Pays : Etats-Unis

Genre : Thriller

Résumé :

Cette saga sur le crime organisé dans l’Amérique de l’après-guerre est racontée du point de vue de Frank Sheeran, un ancien soldat de la Seconde Guerre mondiale devenu escroc et tueur à gages ayant travaillé aux côtés de quelques-unes des plus grandes figures du 20e siècle. Couvrant plusieurs décennies, le film relate l’un des mystères insondables de l’histoire des États-Unis : la disparition du légendaire dirigeant syndicaliste Jimmy Hoffa. Il offre également une plongée monumentale dans les arcanes de la mafia en révélant ses rouages, ses luttes internes et ses liens avec le monde politique.

Avis :

Il y a des projets qui font grincer des dents de par leur sujet, ou encore de par le côté sulfureux qui s’en dégage. Certains films ont fait parler d’eux à cause d’une sexualité exacerbée, ou encore d’une violence crue et trop percutante. Aujourd’hui, avec les plateformes de streaming, on commence à voir des fans faire la tronche parce que leur réalisateur préféré diffuse des films directement à la télévision et non plus dans les salles de cinéma. Ce fut le cas pour Okja de Bong-Joon Ho ou pour La Ballade de Buster Scruggs des frères Coen, deux films qui ont eu les faveurs de Netflix. Mais celui qui a fait bondir les cinéphiles, c’est bien le projet de Martin Scorsese, The Irishman. Déjà parce que l’on voyait mal le célèbre metteur en scène se « vendre » à la plateforme, mais aussi parce que ne pas voir un Scorsese au cinéma, surtout une œuvre fleuve de 3h30, c’est toujours étrange et un peu décevant. En même temps, avec un budget de 145 millions d’euros et une telle durée, difficile de voir des cinémas programmer cela, alors qu’ils peuvent passer deux films moindres et donc doubler leur chiffre d’affaire. Car oui, ne nous y trompons pas, si The Irishman est sorti directement sur Netflix, c’est avant tout pour une histoire de gros sous…

Ceci étant dit, le fait que le film sorte sur Netflix lui a permis d’avoir une belle visibilité et une distribution dans toute la France. Car combien de cinémas auraient pris le risque de le diffuser ? En faisant ainsi, Scorsese s’assure une bonne audience, même s’il crée la polémique et que certains sites se sont amusés à dénaturer cette œuvre. Le film soulève, avant même son visionnage, quelques questions sur notre capacité d’attention, de concentration et sur le respect d’une œuvre. Entre ceux qui vont regarder ça sur un téléphone, et ceux qui proposent le film en quatre parties, comme une mini-série, il y a de quoi se poser des questions sur nos capacités cognitives. Mais qu’importe finalement, tant que le film ait vu. Et très clairement, The Irishman mérite son coup d’œil, malgré sa longueur, malgré ses petits défauts, car il ressemble fortement à une œuvre testamentaire, et pas seulement pour le cinéaste, mais aussi pour trois grands acteurs qui signent une prestation à couper le souffle.

Au niveau de son scénario, The Irishman est un film que seul Scorsese pouvait mettre en scène. Renouant avec ses thématiques préférées, il n’y avait que lui pour mettre en scène une telle densité dans le milieu de la mafia italienne. Dans ce film, on va suivre la folle vie de Frank Sheeran, un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale qui va devenir un petit escroc puis un tueur à gages pour le compte de la mafia. S’étalant sur plus de cinquante ans, le film de Scorsese est un vrai récit de vie, qui s’amuse à mélanger fiction et réalité pour mieux ancrer son récit dans quelque chose de crédible. A la fois biopic et thriller noir, The Irishman bénéficie d’une narration éclatée qui va lui permettre d’apporter de la profondeur et de présenter des personnages empathiques, malgré le milieu dans lequel ils évoluent et les actes qu’ils font. C’est là la grande force de ce scénario, complexe, mais qui ne perd jamais son spectateur grâce à des explications fluides et à une mécanique assez redondante qui permet de ne pas se perdre dans le temps.

A travers ce scénario, Martin Scorsese va s’amuser à traiter tous les thèmes qu’il a déjà abordés dans son cinéma. C’est en partie de là que la sensation de voir un film testamentaire se fait ressentir. Si le sujet principal est bien évidemment la politique, avec la disparition mystérieuse de Jimmy Hoffa, célèbre syndicaliste, le cinéaste va aussi parler de tout un tas d’autres choses qui ont déjà habité son cinéma. La mafia, bien sûr, avec des portraits croqués à la perfection, mais aussi la vie de famille, les relations père/fille, les attitudes des femmes, qui comprennent tout mais ne disent rien, et les attitudes des hommes, de stupides faquins qui se croient plus intelligents que la moyenne. Avec tout ça, Scorsese livre un film riche, jouissif par moments, mais peut-être un poil trop dense, notamment quand il commence à aborder le coup des sections dans le domaine du transport routier, avec des passages difficiles à comprendre et qui, pourtant, sont importants pour comprendre l’intrigue et la montée en puissance de Frank Sheeran.

Ce qui est le plus étrange dans ce film, c’est que l’on va ressentir de l’empathie pour quasiment tous les personnages, alors que ces derniers sont tous de grosses pourritures qui n’hésitent pas à tuer pour se faire de l’argent, ou pour se faire un nom dans le monde de la mafia. En premier lieu, on va faire la connaissance de Frank Sheeran, un livreur irlandais qui va commettre ses premières arnaques dans le domaine de la viande, avant de se lancer dans le grand banditisme sous la houlette de son protecteur, Russ Bufalino. Tenu impeccablement par Robert De Niro, ce dernier renoue avec ses rôles de vieux mafieux, comme on a pu le voir dans Casino par exemple. Si on peut rouspéter sur le de-aging, cette technologie qui permet de rajeunir les visages sans passer par la motion capture, et qui lisse un peu trop les traits, le regard de De Niro suffit à capter l’attention et à montrer tout le talent du comédien. Neuvième film avec son ami Scorsese et il est toujours aussi incroyable. Joe Pesci, qui signe son grand retour après plus de dix ans d’absence, est plus mutique, mais il respire le charisme et la confiance en lui. Plus sobre, mais aussi plus sombre, l’acteur est très convaincant et semble prendre un plaisir monstre à être devant la caméra. Mais celui qui, à mon sens, vole la vedette à tout le casting, c’est bien Al Pacino. Ce dernier joue Jimmy Hoffa, syndicaliste qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque, et il est tout bonnement génial. Constamment dans l’excès, toujours en train d’insulter ou de péter un plomb pour rien, l’acteur s’en donne à cœur joie et dynamite chacune de ses apparitions, jusqu’à créer sa propre perte. Une grande performance pour un acteur mythique.

Enfin, The Irishman est un film qui manipule avec finesse une grande violence. Ces différents parcours de vie sont parsemés de cadavres et de meurtres commandités, et Martin Scorsese arrive à rendre cela presque banal. Cette violence se retrouve dans les règlements de compte, et souvent, ils sont faits rapidement au coin d’une rue ou dans une maison vide, avec pour seul témoin, la lumière d’un réverbère. Le sang gicle, mais cela reste très vif, et c’est là que l’on va retrouver la magie de Scorsese, dans cette capacité à réguler la violence, à la rendre presque belle, fragile, alors que c’est tout bonnement ignoble. Cela s’exacerbe dans The Irishman où les cadavres s’empilent, et où les petites étiquettes annonçant comment un personnage est mort se succèdent dans un ballet presque drôle. Une drôlerie que l’on retrouve dans certains dialogues, mis en avant pour bien montrer l’imbécilité de certaines personnages, se pensant intelligents et indispensables.

Au final, The Irishman est un grand film et sa longueur est nécessaire pour raconter cette vie riche, dense et triste. En regardant ce film, on pourrait presque croire à un chant du cygne pour Scorsese et ses acteurs, les derniers géants dans cette terre fictive où la place semble déjà être prise par de petits jeunes qui sautent de partout pour brasser du vide. Un vide totalement absent, si ce n’est dans les cerveaux des hommes, se prétendant forts et intelligents en réglant leurs soucis par les armes. Scorsese, dans sa grande générosité, permet à tout le monde de voir son film, et à quel point il est démuni face à un cinéma populaire dans lequel il ne se reconnait pas. The Irishman est exigent, il se mérite, il est loin du rollercoaster et pourtant, il est indispensable pour le cinéma d’aujourd’hui.

Note : 19/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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