avril 19, 2024

Aguirre, La Colère de Dieu

Titre Original : Aguirre, Der Zorn Gottes

De : Werner Herzog

Avec Klaus Kinski, Ruy Guerra, Helena Rojo, Alejandro Repulles

Année : 1972

Pays : Allemagne

Genre : Aventure, Drame

Résumé :

En 1560, une troupe de conquistadors espagnols descend de la montagne à la recherche de l’Eldorado. Mais l’équipée s’enlise dans les marais. Une plus petite expédition est alors constituée, placée sous la conduite de Pedro de Ursua et de son second, Lope de Aguirre, qui devra reconnaître l’aval du fleuve sur des radeaux. Aguirre, aventurier ambitieux et brutal, manœuvre habilement pour proposer à ses compagnons un nouveau chef, le falot Fernando de Guzman, promu solennellement « empereur du Pérou et de l’Eldorado »…

Avis :

Après plusieurs films documentaires et deux longs-métrages, dont Les Nains aussi ont commencé petits, la carrière de Werner Herzog a véritablement décollé au début des années 1970 avec Aguirre, la colère de Dieu. Celui-ci marque également sa première collaboration houleuse avec Klaus Kinski. La genèse d’un mythe du septième art est née, là où les conditions de tournage se sont avérées particulièrement difficiles, voire dangereuses avec les courants capricieux de l’Amazone et les pentes abruptes des montagnes. Et cela relève de l’euphémisme lorsqu’on prend connaissance de certaines anecdotes où Herzog a menacé de tuer Kinski avant de se suicider s’il ne se calmait pas. Même les Indiens figurants ont proposé de faire disparaître le corps de son acteur fétiche dans la jungle si le cinéaste consentait au crime !

L’aura d’Aguirre est donc nantie d’une réputation qui le précède. Cela sans compter des moyens de production réduits à une équipe de moins de 10 personnes (hors casting) et un budget approximatif de 350 000 dollars. En l’occurrence, l’économie de moyens ne signifie pas forcément un film incapable de concrétiser ses ambitions. Étrangement, l’aspect minimaliste se retranscrit de manière différente à l’écran. À commencer par des dialogues très circonspects qui permettent à l’ambiance de la forêt de se développer, notamment à travers la stridulation des insectes ou les chants d’oiseaux. Des sons qui imprègnent littéralement la pellicule (et le spectateur) au point d’imposer une véritable sensation oppressante lorsque le silence complet se fait.

Par ailleurs, les échanges tiennent autant à des postures (souvent hostiles, parfois indolentes), à des expressions et à des phrases chargées en symbolique. On songe surtout aux réparties d’Aguirre que l’on peut interpréter de bien des manières au cours de son périple. Expression de son obsession, puis de son triomphe ou de sa défaite, Klaus Kinski alterne entre les compositions graves et grotesques où il se pose comme le chef d’orchestre d’une odyssée que l’on devine vaine dès ses prémices. À travers son protagoniste, Werner Herzog exploite des thématiques que l’on retrouvera de façon régulière dans son œuvre, comme la soif de pouvoir, la mégalomanie qui en découle ou encore la folie.

En ce sens, on distingue difficilement le fantasme de la réalité dans cette entreprise incertaine. Sur la simple base du compte-rendu d’un moine, Herzog multiplie les exercices de style. Proche d’un traitement documentaire à certains égards, la fresque historique reste assez rigoureuse dans son traitement (pas forcément dans sa finalité). D’ailleurs, la narration à la première personne s’avère posée et récurrente. De plus, la trame se pare des atours du film d’aventures avec la quête de l’Eldorado. Celle-ci démontre une réalité fantasmée où la cupidité des protagonistes se dispute à leur propre vanité. Il en ressort une atmosphère éthérée, presque onirique dans cette manière d’appréhender le périple. La musique de Popol Vuh n’y est d’ailleurs pas étrangère.

On songe aux indigènes qui, au gré de l’Amazone, arpentent les berges, semblables à des spectres. D’autres séquences fortes s’insinuent également, comme ce cheval abandonné au beau milieu de la jungle, comme si les membres de l’expédition délaissaient leurs valeurs pour franchir un point de non-retour. Afin de venir soutenir cet aspect pour le moins déconcertant, pour ne pas dire halluciné en certaines circonstances, on retrouve cette économie de moyens qui se traduit cette fois-ci par une histoire elliptique. Plusieurs scènes notables sont occultées, tandis que la violence reste globalement en retrait. À l’instar du village attaqué par les cannibales, la mort de l’« empereur » ou les assauts réguliers sur leur radeau de fortune, on ne peut que constater l’inéluctabilité des confrontations à travers leurs conséquences.

Bien plus qu’un simple film d’aventures historique, Aguirre, la colère de Dieu marque un précédent dans le cinéma. De par sa symbolique, sa genèse et son cheminement initiatique, l’œuvre de Werner Herzog ouvre la voie à Apocalypse Now, puis sous sa propre direction Fitzcarraldo. D’ailleurs, le présent métrage présage de cette autre folle épopée avec une vision quasi-prophétique où l’on découvre un bateau niché à la cime d’un arbre, semblable à une idée embryonnaire qui germe déjà dans l’esprit du réalisateur.

Cette séquence qui précède la chute ou la grandeur d’Aguirre (les deux hypothèses restent admissibles) résume à elle seule le côté illuminé indissociable d’un film qui bénéficie de plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation. Parfois abscons, parfois sibyllin, Aguirre, la colère de Dieu est une œuvre aux multiples contrastes, jouant aussi bien sur la contemplation d’un rêve (cauchemar ?) éveillé que sur l’avilissement humain. Celui-ci se manifeste non pas lors de la confrontation avec la nature sauvage, mais sur la quête illusoire de l’Eldorado où la glorification de l’individu supplante même son avidité pour l’or.

Note : 18/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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Une réflexion sur « Aguirre, La Colère de Dieu »

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