avril 18, 2024

Zero Dark Thirty

De : Kathryn Bigelow

Avec Jessica Chastain, Jeson Clarke, Joel Edgerton, Jennifer Ehle

Année : 2013

Pays : Etats-Unis

Genre : Thriller, Drame

Résumé :

Le récit de la traque d’Oussama Ben Laden par une unité des forces spéciales américaines…

Avis :

Il y a des sujets qui sont difficiles à aborder si on veut éviter toute hagiographie. C’est-à-dire que derrière certains thèmes, on est presque obligé de mettre en avant une personne ou une politique pour le bien qu’ils ont fait à leur pays ou à l’humanité. Malheureusement, quand on rentre dans des biopics qui se veulent trop bienveillants, on loupe la part d’ombre de chacun, et cela vaut aussi pour les pays et leurs actions militaires, aussi essentielles soient-elles. Prenons l’exemple des dix ans qu’a duré la traque d’Oussama Ben Laden et son exécution au Pakistan par les forces américaines. Difficile de raconter cela sans tomber dans une sorte d’acclamation de l’armée et de la CIA, pour tout le boulot amassé et les vies sauvées. Néanmoins, c’est ce que va faire Kathryn Bigelow avec Zero Dark Thirty, film qui a eu moult remous lors de sa sortie, qui fut repoussé et parfois même démenti. En effet, la réalisatrice n’a pas la langue dans sa poche et fournit un film qui possède sa part d’ombre (les techniques de torture auprès des prisonniers djihadistes), mais qui montre aussi combien cette traque fut complexe et dangereuse. Un film qui a suscité de l’engouement comme des grincements de dents de la part des politiques, y voyant là un film pro-Obama à l’approche des élections. Mais n’oublions pas qu’un film qui fait réagir a de bonnes chances pour être un bon film, et c’est clairement le cas ici.

Le pitch du film est relativement simple, puisqu’il débute avec les attentats du 11 septembre et propose de suivre Maya, une jeune recrue de la CIA qui va essayer par tous les moyens de retrouver Oussama Ben Laden. Voyageant sans cesse, assistant aux tortures, dormant très peu, elle va, pendant dix ans, forcé la main à bien des politiques pour pouvoir enfin débusquer le chef des terroristes et lui faire la peau. Derrière cette histoire toute simple se cache en fait un thriller haletant qui prend le temps de montrer les rouages d’un système complexe et toutes les personnes qui ont gravité autour de cette traque. Entre des personnes de terrain désabusées et qui n’hésitent plus à torturer pour avoir des éléments de réponses et des bureaucrates frileux afin de ne pas faire des vagues d’un point de vue géopolitique, Zero Dark Thirty démontre le monde qui sépare les politiques des soldats qui sont à leur solde et qui font sans quasiment jamais remettre en cause les ordres reçus. Kathryn Bigelow propose alors un film long, qui dépasse les 2h30, pour bien pointer du doigt un système à deux vitesses et des craintes complètement différentes.

Là où le film est prenant, c’est que tout est montré comme un combat sans fin. Un combat contre la bureaucratie qui freine chaque action afin d’éviter des conflits collatéraux. Un combat contre les terroristes qui utilisent des méthodes de professionnels pour tromper la CIA et ne pas se faire repérer. Un combat contre le manque de moyens et de personnes, qui parfois ne veulent pas perdre du temps sur des suppositions. Tous ces combats amènent une tension permanente pour un film qui est tout le temps sur la tangente. Kathryn Bigelow, avec sa caméra souvent à l’épaule et de légers mouvements, nous rapproche de ces femmes et de ces hommes qui s’investissent corps et âme dans une traque longue et épuisante. Jessica Chastain, qui campe Maya, l’héroïne du film, est tout simplement incroyable dans un rôle à la fois dur et fragile, où chaque indice rapproche un peu plus de l’ennemi numéro un. Elle est très dense dans ce rôle, où elle bouffe l’écran et ne s’avoue jamais vaincue, même lorsque ses collègues proches se font prendre dans un attentat. Cette tension trouve son point culminant dans le dernier acte, l’assaut de la maison où doit se trouver Ben Laden (là encore, avec des suppositions), tourné à la lumière quasi-naturelle, dans un noir mat où les éclats deviennent de véritables feux follets.

C’est d’ailleurs ce dernier passage qui va être très intéressant à analyser, puisqu’il est le point culminant du film, celui qui va nous dire si, oui ou non, la recherche a été fructueuse et si Ben Laden se trouve bien dans cette mini-forteresse. Tourné avec une nouvelle caméra high-tech permettant d’à peine éclairer les scènes, Katrhyn Bigelow se fait plaisir dans un dernier acte saisissant et qui met une pression d’enfer sur ces soldats surentrainés mais qui ne savent pas dans quoi ils mettent les pieds. Entre des fulgurances sublimes de mise en scène et des gunfights parfaitement maîtrisés, la réalisatrice déploie ici tout son talent pour suivre les soldats dans cette fin de traque. Alors on pourrait croire qu’ici, on va voir toute la puissance américaine à l’œuvre, mais cela ne sera pas totalement vrai. En effet, si la cinéaste ne laisse presque aucun doute sur la réussite de l’entreprise, on va voir quelques points qui font mal à l’armée. En premier lieu, le coup de l’hélicoptère qui se crashe, car c’est un prototype, montrant finalement un savoir-faire qui semble un peu hasardeux. Ensuite, on va voir que les soldats ne sont pas là pour faire des prisonniers, hormis les femmes et les enfants. Mais attention, au détour d’une scène et d’une phrase, on va voir que tuer des femmes n’est pas un problème pour ces soldats. Ils tuent comme si c’était normal, même lorsqu’une femme n’est pas armée. C’est rude et montre globalement une déshumanisation revancharde qui ne montre pas le plus beau visage de l’armée américaine. Il en va de même lorsque le soldat tue Ben Laden et n’en revient pas, comme si c’était un exploit en soi. Bref, on est loin du récit identitaire et de l’exemplarité des soldats. Et le plus intéressant, c’est que cela est fait par petites touches discrètes, noyé dans une mise en scène dynamique et surprenante.

Au final, Zero Dark Thirty est un grand film. Il est dense, riche et se veut passionnant en montrer tous les rouages du système pour traquer une personne dangereuse. Le film essaye d’être au plus proche des personnages, au plus proche de la vérité, pour montrer non seulement un travail titanesque qui met à mal des vies entières (Maya, l’héroïne, ne sait que faire une fois son travail accompli tant tout cela était sa propre personne. Elle se retrouve vide, vide de sens, vide d’envie et d’endroit où aller désormais), mais aussi des dérives d’une politique qui n’hésite pas à tuer des innocents pour une paix toute relative. Bref, Kathryn Bigelow livre encore une fois un film important.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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