mars 19, 2024

The Wind

De : Victor Sjöstrom

Avec Montagu Love, Lillian Gish, Lars Hanson, Dorothy Cumming

Année: 1928

Pays: Etats-Unis

Genre: Drame, Romance

Résumé:

Le vent ne cesse de souffler dans cette région du désert américain ou une jeune fille récemment devenue orpheline, Letty, vient s’installer chez ses cousins. Poussée par une parente jalouse, elle épouse un modeste cow-boy, Lige. Tandis que celui-ci part en expédition, laissant seule sa femme, monte une tempête de sable. Livrée à elle-même, Letty est rejointe par un ancien soupirant. 

Avis :

Pour le septième art, et plus particulièrement le cinéma expressionniste, les années 1920 se sont imposées comme une décennie où la créativité foisonnait d’idées. Alors que les genres tendent à s’affirmer, cette considération tenait à la découverte et l’expérimentation des techniques de mise en scène. On songe notamment au traveling ou même au fondu enchaîné que l’on retrouve dans The Wind, mais aussi dans bien d’autres métrages tels que L’Aurore. Affranchis de l’aspect embryonnaire d’un nouveau média culturel, les longs-métrages deviennent progressivement la norme. Les ambitions croissent et, avec elle, les moyens sont plus conséquents.

Preuve en est avec la présence de Lillian Gish qui est alors à l’apogée de sa carrière. Non seulement elle multiplie les têtes d’affiche, mais elle a le privilège de choisir ses projets et ses collaborateurs ; du metteur en scène aux acteurs. Un cas presque unique dans l’histoire du cinéma ; a fortiori pour une femme. Exception faite de Janet Gaynor, Mary Pickford, Gloria Swanson ou Theda Bara, peu de comédiennes ont pu décrocher de tels premiers rôles, reléguant la gent masculine au plan secondaire. Et pourtant, le succès est loin d’être assuré pour The Wind qui pâtit de l’hostilité latente de Louis B. Mayer à l’égard de l’actrice principale. Bien que rien n’ait été confirmé, l’échec commercial de The Wind lui a permis de mettre un terme prématurément au contrat qui le liait à Lillian Gish. De là à penser qu’il a sciemment sabordé l’un de ses projets, il n’y a qu’un pas.

C’est donc dans un contexte très particulier que sort The Wind. Comme bien d’autres œuvres de qualité, le film ne rencontre pas son public et subit les affres d’une presse aigrie ; du moins pour la majorité des « critiques spécialisés » de l’époque. Autre facteur de désintérêt probable : l’avènement du parlant coïncide avec sa période d’exploitation. Les ultimes années du muet fournissent néanmoins des efforts notables, comme l’atteste le film de Victor Sjöström (ou Victor Seastrom pour ses réalisations américaines). À bien des égards, The Wind dénote dans sa tonalité et sa manière de développer son histoire. Présentée comme un drame sur fond de romance, l’intrigue s’insinue dans un cadre propre au western.

Réduit au strict minimum, l’environnement met en avant l’isolement que l’on retrouve à différents degrés tout au long du film. Celui-ci tient tout d’abord aux grands espaces américains où l’aspect sauvage reste le témoin privilégié de la conquête de l’ouest. Là encore, l’occurrence avec le western est assez flagrante avec les élevages en pleine nature et les ranchs. Les cow-boys sont autant malmenés par la rudesse de la vie rurale que par les conditions météorologiques. Et s’il est un point sur lequel il est difficile de faire l’impasse, c’est bien le vent. Certes, on le serait à moins avec un tel titre. Cependant, il occupe une place particulière au sein de l’intrigue.

Rarement un élément intangible a su faire montre d’une telle présence devant la caméra. Quelles que soient les circonstances, on remarque sa permanence, voire son omnipotence. Même pour les scènes d’intérieur, il demeure une préoccupation constante, tandis que les plans extérieurs rivalisent de violence pour le confronter aux personnages. Cela passe par les rafales, mais aussi par une séquence de tempête audacieuse et inédite où la petite ville est malmenée par une tornade. Tout d’abord invisible aux yeux du spectateur, car amenée à accompagner les habitants dans leur refuge, elle se présente bel et bien à l’écran. L’incursion est furtive et néanmoins saisissante pour l’époque.

Le vent se charge également d’une symbolique forte à travers les différentes séquences. En raison de sa persistance, il traduit aussi bien les sensations des protagonistes que les situations auxquelles ils se confrontent. Son aspect capricieux et inconstant rappelle la versatilité de la vie et des épreuves qu’elle nous inflige. L’analogie avec le temps qui s’écoule peut paraître facile, a fortiori lorsqu’il soulève des vagues de sable. On retiendra donc surtout l’isolement précédemment évoqué, notamment ce qui a trait à l’inextricable choix qui s’impose à Letty pour s’affranchir de sa précarité sociale et financière. De même, il renvoie à l’aliénation insidieuse qu’il suscite ; à la manière d’une torture perpétuelle dont on ne peut se soustraire.

Cela influe sur le comportement et les réactions des protagonistes, à moins qu’il ne soit qu’un simple déclencheur, prétexte à bien des dérives. Car, derrière les instincts à peine contenus des hommes face à Letty, se dissimulent l’instrumentalisation de la femme et sa place au sein de la société et du foyer. Il n’est pas question de consentir à la convoitise des uns par le biais d’un portrait séducteur, mais plutôt de mettre en avant la fragilité de Letty. Point de femme fatale donc, mais une personne aussi charismatique que sensible. Une caractérisation d’autant plus surprenante qu’elle prend à contrepied le spectateur dans un dénouement assez aventureux dans ce qu’il suggère.

Au final, The Wind reste un grand classique du cinéma. La place de la femme est évoquée à travers la vulnérabilité de l’individu, tandis que les épreuves de l’existence sont traduites de fort belle manière. On songe à la succession de confrontations plus ou moins véhémentes qui génèrent une angoisse latente. Peur de l’avenir, refus de la condition sociale, aliénation de l’être dans sa chair et dans son esprit… Les sujets traités profitent de portraits crédibles et d’une grande justesse dans les propos avancés et la progression mesurée. Ambitieux dans sa mise en scène, le film de Victor Sjöström se distingue également par ses plans audacieux et sa manière singulière d’inviter le vent dans chaque séquence ; qu’il soit réel ou soumis à l’interprétation des protagonistes et des spectateurs.

Note : 17/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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