mars 19, 2024

L’Homme-Craie – C.J. Tudor

Auteure : C.J. Tudor

Editeur : J’ai Lu

Genre : Thriller

Résumé :

En 1986, Eddie et ses amis sont encore des enfants. Ils passent leurs journées à parcourir en vélo leur petit village anglais, en quête de distractions. Ils ont élaboré un langage secret: de petits bonshommes allumettes tracés à la craie qu’eux seuls peuvent comprendre. Mais, un jour, l’un de ces mystérieux dessins les conduit jusqu’à un corps démembré qui change leur existence pour toujours.

En 2016, Eddie croit avoir définitivement tourné la page lorsqu’il reçoit une lettre contenant un nouveau bonhomme craie. Ses amis d’enfance ont reçu la même missive, mais ce qui ressemble à un canular prend une tournure dramatique lorsque l’un d’eux est tué.

Pour sauver sa peau, Eddie comprend qu’il devra faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé trente ans plus tôt.

Avis :

Le thriller, dans la littérature, est un genre très codifié et qui répond constamment à un cahier des charges bien rempli. En règle générale, un mystère autour d’un meurtre, une enquête qui piétine, des indices qui arrivent au compte-goutte, des personnages hauts en couleurs et des retournements imprévus sont les ingrédients nécessaires pour réussir dans ce genre. Mais c’est aussi un genre qui peut avoir tendance à se répéter. Lire un Harlan Coben revient presque à lire tous les Harlan Coben et on ne peut pas dire que la surprise soit au rendez-vous. C’est en cela que le thriller est un joli défi pour tout nouvel écrivain en herbe, et c’est le cas pour C.J. Tudor. Tout d’abord journaliste, elle se lance dans l’écriture avec son premier roman, L’Homme Craie. Plutôt bien accueilli par la presse spécialisée, vivement conseillé par des auteurs reconnus comme Maxime Chattam, il n’en fallait pas plus pour avoir envie de se plonger dans cette histoire, et c’est avec un grand bonheur que l’on trouve quelqu’un à suivre avec intérêt.

L’Homme Craie est un roman qui joue sur deux temporalités. En premier lieu, nous sommes en 2016 et nous suivons la vie d’Eddie, qui est le narrateur de l’histoire. Professeur d’anglais, sa vie est très routinière jusqu’à ce qu’il reçoive la visite d’un ancien ami, lui proposant d’écrire un livre sur une affaire de meurtre qui a eu lieu trente ans plus tôt. De ce fait, Eddie va faire un bond dans le passé, en 1986, et il va se remémorer toute sa jeunesse, lorsqu’à douze ans, avec trois autres amis, il a découvert un corps découpé dans la forêt de son petit bled au Sud de l’Angleterre. Ainsi donc, ce roman s’axe autour de deux époques différentes pour étoffer une affaire qui resurgit trente ans plus tard et qui ramener des souvenirs douloureux, l’occasion de brasser pas mal de thèmes et de trouver une certaine filiation avec d’autres histoires quasi similaires. Oui, quand on lit L’Homme Craie, on pense immédiatement à Stand By Me de Stephen King, ou encore, et dans une moindre mesure, à Ça, notamment dans le rapport qu’entretiennent les jeunes enfants durant leur jeunesse/adolescence. Sans jamais atteindre le génie du maître de l’horreur, C.J. Tudor arrive tout de même à créer des personnages empathiques.

En premier lieu, on va apprendre à connaître Eddie. Ce jeune quarantenaire a une vie plan-plan, presque ennuyeuse et elle n’est dérangée que par la présence de Chloe, sa colocataire, une jeune de vingt ans un peu grunge sur les bords et avec laquelle il entretient une relation amicale. Plus jeune, Eddie était un garçon bon vivant, avec des parents un peu bohème, mais qui subissaient le courroux de pas mal de personnes, notamment parce que sa mère travaillait dans une clinique d’avortements et parce que son père, écrivain raté, était un athée convaincu qui ne supportait pas le révérend du village. Personnage principal de l’histoire, Eddie est le narrateur et propose son point de vue sur une histoire complexe mais vraiment passionnante. A ses côtés, on retrouve ses amis, comme Gros Gav et son franc parler, Hoppo et son aspect bon copain désintéressé, puis Mickey, celui que l’on préfère éviter. Pour ces trois personnages, c’est vraiment l’aspect enfance qui est très travaillé, où l’on voit cette bande de potes s’amuser et subir parfois les mauvais coups des plus grands. Une époque où ils découvrent un monde violent, aussi bien physiquement que mentalement, avec des idéaux dégueulasses.

Des idéaux qui trouveront une vraie résonance dans l’histoire. C.J. Tudor ne se permet pas seulement de pointer du doigt des aberrations sociétales, elle s’en sert pour tisser son intrigue et les motifs des différents meurtres. Ainsi donc, l’avortement sera un sujet central de ce roman et fera écho à la toute fin du métrage. Une thématique qui semble tenir à cœur à l’auteure et qui démontre aussi l’évolution de notre société face à cela. On pense d’une époque où la majorité de la population est contre, luttant de façon virulente contre cela, à une époque plus calme, plus compréhensive. L’autre sujet très important est la religion et la place que l’on accorde à celle-ci dans sa vie. Cependant, il faut faire attention avec la façon dont s’est traité dans le livre, car on sent un parti pris (qui n’est pas pour me déplaire) qui est très clairement contre toute forme de culte. C’est assez intéressant de voir que l’évolution à travers les années est différente et que certaines choses restent immuables malgré leur non-sens. On sent une envie de démontrer toutes les contradictions d’une religion qui se ment à elle-même et qui sera finalement, plus meurtrière qu’autre chose. Enfin, il réside dans ce roman un fatalisme presque nihiliste où personne ne peut échapper à son destin. Une fatalité qui colle à la peau des personnages, presque comme une malédiction, où des choix amènent à des conséquences désastreuses. Dès le départ d’ailleurs, le livre s’avère très fataliste, avec un accident qui va remettre en cause beaucoup de chose et qui va donner le ton, une ambiance noire, pesante, où personne n’est en position de sûreté.

Et c’est là la grande force du roman, qui arrive à maintenir un suspens constant tout en distillant des indices et des péripéties de manière sporadique mais très clairement efficace. On ne s’ennuie pas et certains personnages valent leur pesant de cacahuètes. On pense bien évidemment à M. Halloran, un professeur albinos qui est jugé pour son physique et son amour, mais qui se révèlera finalement comme un mentor important et juste. On pense à Nicky, cette jeune femme incendiaire qui souffre en silence et trouve une forme de liberté avec les quatre garçons. On peut aussi évoquer les parents d’Eddie, des gens très bons, mais qui vont être touchés de plein fouet par le karma. Tournant autour de la thématique de la maladie, et plus précisément d’Alzheimer, l’auteure montre les démons intérieurs d’Eddie et sa lutte contre une maladie qui peut sembler héréditaire. Si on couple tout cela avec une écriture fluide, on passe vraiment pas très loin de l’immanquable.

Au final, L’Homme Craie, le premier roman de C.J. Tudor, est une vraie réussite, et on aurait pu craindre le pire avec une communication qui ne se base que sur des petits mots d’auteurs connus. Mais pour une fois, cela est justifié et on se retrouve face à un thriller de haute volée, rudement bien écrit, distillant un suspens quasi insoutenable et offrant surtout une ambiance désespérée assez incroyable, très désenchantée, où le fatalisme et le nihilisme ne sont jamais bien loin. Bref, un gros premier succès et on va suivre cette auteure avec une attention toute particulière.

Note : 17/20  

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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