avril 20, 2024

Le Voile des Ténèbres

Auteurs : El Torres et Gabriel Hernandez Walta

Editeur : Atlantic BD

Genre : Thriller, Fantastique

Résumé :

Chris Luna a un don dont elle se passerait bien. Depuis un terrible accident de train qui a failli lui ôter la vie alors qu’elle était enfant, Chris voit les âmes des morts errer sur la Terre avant de parvenir à se séparer du monde. Ce don embarrassant, elle en a fait son métier. Comme détective privé, elle aide les forces de police de New York à élucider des crimes. Elle ne se trompe jamais, forcément, ses indics sont les victimes elles-mêmes. Pourtant, les morts sont de mauvais clients, ils payent mal et disparaissent dès que leur rancœur se dissipe, dès que Chris arrête leurs assassins. Donc quand Chris hérite de sa maison familiale dans le Maine, elle ne peut pas refuser l’héritage et malgré ses craintes, elle doit retourner sur les lieux de son enfance, à l’origine de ses dons. Ce qui l’attend, ceux qui l’attendent, ne sont pas tous bienveillants, loin de là.

Avis :

Lorsqu’on évoque la médiumnité et la résolution d’enquêtes policières, on songe forcément à la série Medium. Inspirée de l’histoire vraie d’Allison DuBois, celle-ci propose d’employer des moyens peu conventionnels pour entreprendre des investigations qui piétinent ou sont dans l’impasse. Dans un registre plus glauque, ce concept a donné lieu à quelques métrages qui tentaient de concilier l’aspect le plus sombre et macabre du thriller à des visions surnaturelles propres au fantastique. On songe notamment aux films Prémonitions (respectivement de Neil Jordan et Afonso Poyart) ou encore Intuitions de Sam Raimi. Autant de références qui ne sont pas sans rappeler le présent comics.

On dispose en effet de tous les ingrédients d’un univers sordide à souhait. Le contexte délétère de New York miné par la criminalité, les exécutions dans les ruelles malfamées et la tournure paranormale qui s’invite sous la forme de visions de l’au-delà. Pour faire un rapprochement facile et néanmoins explicite, les auteurs se sont amusés à croiser Seven avec Sixième sens. Le fait que les défunts préservent une trace apparente de la cause de leur mort va également en ce sens. Seulement, le trait de dessins qui tend vers un style expressionniste dissimule non sans habileté certaines d’entre elles. Pour autant, ce n’est pas le seul attrait ni l’unique intérêt de cet exercice artistique.

L’effet de distorsion propre au courant artistique trouve ici une occurrence particulière pour dépeindre l’intrigue sous le prisme subjectif de sa protagoniste, Chris Luna. L’aspect simpliste, voire schématique, génère une certaine inertie au gré des vignettes, même dans celle qui suggère une situation de mobilité. La retranscription d’une démence à double vitesse évoque parfaitement la frontière ténue qui sépare la folie de la réalité. En cela, l’ambiance malsaine et dérangeante rappelle certaines toiles telles que Le cri d’Edward Munch ou le portrait d’Innocent X par Francis Bacon, même si ce dernier s’ancre plus dans le modernisme.

Les fantômes errent et vaquent à leurs occupations dans un au-delà croupissant, presque organique au vu de certains éléments graphiques ou d’indications olfactives peu ragoûtantes. Exception faite de quelques visions cauchemardesques, le fait d’intégrer l’au-delà en filigrane de notre réalité évoque davantage un monde parallèle où il est difficile de discerner le vrai du faux. Par ailleurs, on remarquera la présence récurrente de plages d’obscurité ou de pénombre traduite par quelques traits grossiers. Une réitération qui laisse entendre l’omnipotence des « présences », à tout le moins leur caractère persistant, comme le suggère la boucle. Cette dernière étant une crise passagère ou éternelle dont sont victimes les défunts assassinés.

En ce qui concerne le récit, on s’écarte sciemment des compétences de Chris Luna pour mieux se focaliser sur son don. De fait, l’aspect propre aux intrigues policières reste timoré, pour ne pas dire anecdotique. Pourtant, les disparitions et les crimes perpétrés dans une petite ville du Maine auraient gagné à un travail plus appuyé. De même, la transition avec la seconde partie de l’histoire, ou plutôt le basculement, se veut un peu trop précipité, car il effectue un détour vers le survival apocalyptique en passant par la case hystérie collective. Un choix narratif qui débouche vers des considérations anti-christiques quelque peu déconcertantes au vu des tenants de l’intrigue.

Au final, Le voile des ténèbres est un comics qui bénéficie d’une atmosphère aussi éprouvante que réussie dans ce qu’elle suggère. Véritable plongée labyrinthique dans ce qui définit la folie humaine, la patte artistique est parfaitement représentative d’une approche cérébrale pertinente qui vient troubler les fils de notre perception et ceux du personnage principal. En cela, ce livre offre un exercice parfaitement maîtrisé. Il est simplement dommage que cette qualité soit atténuée par un récit qui tend à s’éparpiller dans plusieurs directions sans pour autant se montrer formel dans ses propos. Une œuvre sombre et très pessimiste dont la violence relève autant des tourments psychologiques que de la souffrance physique.

Note : 15/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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