avril 20, 2024

Leto

De : Kirill Serebrennikov

Avec Roman Bilyk, Irina Starshenbaum, Teo Yoo, Filipp Avdeyev

Année: 2018

Pays: Russie, France

Genre: Biopic

Résumé:

Leningrad. Un été du début des années 80. En amont de la Perestroïka, les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Mike et sa femme la belle Natacha rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique.

Avis:

Kirill Serebrennikov est un réalisateur russe qui ne manque malheureusement pas de faire parler de lui. Engagé, ayant un cinéma brut et intéressant, le réalisateur a fait couler beaucoup d’encre avec son dernier film. Faisant l’objet de soupçon de détournement de fond, Kirill Serebrennikov fut perquisitionné en Mai 2017, avant de commencer le tournage de « Leto » en Juillet de la même année. En Août 2017, il est inculpé et arrêté pour détournement de fond public. Le réalisateur aura eu le temps de boucler son tournage. Assigné à résidence, il va alors monter le film chez lui. Présenté à Cannes en 2018, Kirill Serebrennikov fait partie avec A. B.Shawky de ces réalisateurs qui n’ont donc pas pu venir présenter leur film au festival. Huitième film de Kirill Serebrennikov, ce qui signifie « L’été » en russe est un film qui revient sur le début de la carrière de Viktor Tsoi, l’une des légendes du rock en Russie.

Autant le dire, je n’avais jamais entendu parler de Viktor Tsoi avant de découvrir « Leto« , mais plus qu’un biopic sur le début d’une carrière, « Leto » va être avant tout un film qui va peindre une époque étrange, dure et tendue. Une époque, le début des années 80, où le communisme gère et règle. Une époque où une jeunesse se lève peu à peu et s’abreuve d’une musique dite capitaliste, qui se vend sous le manteau. Entre réalité et fantaisie, entre drame, comédie et comédie musicale, ce nouveau film de Kirill Serebrennikov est assurément l’un des derniers bijoux de cette année 2018.

Leningrad, un été au début des années 80, alors que le communiste gère le pays d’une main de maître, dans l’ombre une jeunesse est en proie à d’autres horizons. Les disques de Lou Reed, David Bowie, T-Rex, Blondie, les Clash, Iggy Pop et toute la scène new wave affluent et se vendent à l’abri des regards indiscrets. Un groupe d’amis et de musiciens évolue et fait de la musique. Parmi eux, deux jeunes gens se greffent, Viktor Tsoï et Alexei Rybin. Ces deux jeunes gens bourrés de talents et pleins d’ambition vont monter le groupe Kino, qui sera l’un des groupes les plus importants de la nouvelle scène rock de Russie. Mais pour l’instant, les deux jeunes gens profitent, créent et découvrent toutes les influences d’une musique interdite.

« Leto » est une très belle surprise. C’est un film rock certes, mais il va être bien plus intéressant que ce simple postulat.

« Leto« , c’est plusieurs films qui se conjuguent en un seul. « Leto« , c’est aussi bien un biopic sur un artiste intéressant, incarné par un acteur qui crève littéralement l’écran, (Тео Yoo grosse révélation !) qu’un film qui peint et dénonce une époque de privation de liberté, ou encore l’émergence d’une nouvelle scène rock qui s’impose petit à petit. Et cette conjugaison singulière, on la retrouvera aussi dans la mise en scène de Kirill Serebrennikov qui déborde littéralement d’idées. Une mise en scène qui mélange les styles, les couleurs, et même « les matières » si l’on peut dire ainsi.

« Leto« , c’est donc avant tout un excellent scénario. Un scénario dense et sublime. Un scénario qui se révèle au fur et à mesure de ses scènes passionnantes. On aime, on est captivé par cette envie de liberté, par cette jeunesse qui a soif d’autres choses. Kirill Serebrennikov nous raconte parfaitement les interdits, les restrictions, comme cette scène d’introduction assez incroyable, en dehors du temps, où des jeunes assistent à un concert avec l’interdiction d’exprimer une émotion, une sensation. Et cette première partie peut résumer à elle seule ce que l’on va retrouver dans le film. Un concert, de la musique, des gens jeunes assis, bien rangés, mais qui en cachette, tapent du pied, bougent les doigts et les mains discrètement. Des jeunes gens privés, qui dansent intérieurement. Kirill Serebrennikov a parfaitement su offrir le ton dès son ouverture et c’est assez incroyable. Puis ce qui est génial et qui va être soutenu par la mise en scène de son réalisateur, c’est que ces jeunes gens vont s’ouvrir peu à peu à la vie, au fur et à mesure du film. Il souffle sur « Leto » une grande envie de liberté et Kirill Serebrennikov va nous le faire comprendre, avec notamment des scènes incroyables, où fantasme et réalité se confondent dans des moments intenses et fous de comédie musicale, auxquels on ne s’attendait pas.

Puis en parallèle de cette envie de liberté et de toutes ces découvertes musicales, Kirill Serebrennikov va prendre le temps de nous présenter ses personnages, son groupe ou ses groupes. Il va prendre le temps d’installer de belles interactions et de belles histoires entre eux. Tout comme il va prendre le temps de parler de la création, de pourquoi créer, comment créer et comment dire les choses, comment dévier la censure. D’ailleurs, de ce côté-là, on pourrait y voir un parallèle avec la propre vie de son réalisateur, fervent opposant au gouvernement de Poutine. Bref, le film est riche, cohérent et intéressant.

Et cet intérêt, on le retrouve aussi dans d’autres recoins de « Leto« , ainsi par exemple, le film dans sa mise en scène est une claque. Immergé dans un noir et blanc des plus sublimes, immergé dans un esthétisme affolant dont chaque plan est un bijou de composition et d’ambiance, Kirill Serebrennikov assure à chaque instant. Le réalisateur ira même jusqu’à nous offrir de l’inattendu qui réinvente quelque peu le genre du biopic. Les scènes de comédie musicale par exemple, en plus de reprendre des titres cultes de grands groupes (la BO est extra et l’on sent qu’elle va beaucoup tourner!) qui illustre parfaitement le ressentis des personnages, Kirill Serebrennikov s’est amusé à donner des effets pop et psychédéliques à son film, ce qui lui donne d’emblée un cachet de dingue. Le réalisateur s’amuse avec les matières, les formes et les dessins et crée sur ces images des éléments qui méritent à eux seuls un deuxième visionnage, tant ils ne sont pas là par hasard.

« Leto » est donc un film qui mérite assurément le déplacement. Très belle claque, jolie révolution, Kirill Serebrennikov offre un film fou, déjanté et dramatique à la fois. On sourit, on rit, on est ému, on est emporté par ces scènes folles et cette ambiance. Kirill Serebrennikov dénonce la répression culturelle, le communisme, tout en offrant un film qui peint de la plus belle des manières le portrait d’une jeunesse avide d’autre chose, et bien entendu le réalisateur peint très bien le portrait d’un jeune artiste envoûtant et charismatique. Bref, une très belle et vibrante réussite !

Note : 17/20

Par Cinéted

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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Une réflexion sur « Leto »

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