mars 19, 2024

Du Feu de l’Enfer – Sire Cédric

Auteur : Sire Cédric

Editeur : Les Presses de la Cité/Pocket

Genre : Thriller

Résumé :

Manon maquille les cadavres, Ariel maquille les voitures. Elle est thanatopractrice, il est délinquant. Ils sont frère et sœur. Un jour, l’une des combines d’Ariel tourne mal et Manon se retrouve complice malgré elle. Lorsque les assassinats les plus sordides s’accumulent autour d’eux, traçant un jeu de piste sanglant vers une secte satanique, le capitaine Raynal s’intéresse à leur cas. Commence alors une traque qui brouillera les limites entre alliés et prédateurs et mettra à l’épreuve les liens du sang.

Avis :

Contrairement à d’autres courants religieux, le satanisme à la particularité d’évoluer avec son temps. Il n’est pas ici question de glorifier le mouvement, mais de mettre en avant son aspect protéiforme. N’en déplaise aux apparences, l’église satanique d’Anton LaVey s’avançait comme une philosophie de vie et non une croyance à part entière. L’opposition au christianisme n’étant qu’une facette assez anecdotique et très éloignée du mythe du diable. Celui-ci étant symbole de liberté, pas forcément de mal incarné. Au regard des pratiques et des initiations, on songe notamment à la citation « Fais ce que tu veux » qui renvoie directement aux préceptes d’Aleister Crowley.

Et c’est sur cette base que le nouveau roman de Sire Cédric se construit. Non pas sur l’indépendance des satanistes, leur encensement ou une quelconque compréhension sociétale, mais sur l’affranchissement des règles morales. En cela, un autre aspect du satanisme est ici développé. Celui des sociétés secrètes qui s’en arrogent les fondamentaux, les « traditions » et les rituels. Bien que la bibliographie de l’auteur évoque un soigneux mélange entre le thriller et le fantastique, on ne creusera pas la part occulte du mouvement. Enfin, pas dans le sens où on l’entend. La progression reste assez pragmatique et réaliste, non sans laisser l’amer parfum du nihilisme dans son sillage.

Il est vrai que l’on peut penser à certaines sociétés secrètes tels que le Bohemian Club ou les Skull and Bones pour donner vie au Hellfire Club ; groupuscule qui a réellement existé au XVIIIe siècle. L’appartenance à une élite et la pratique de son culte du secret renvoient directement à ses homologues. De même, le fonctionnement et la structure du mouvement rappellent les neuf cercles de l’enfer de Dante ou la hiérarchie infernale, comme présentée dans le Pseudomonarchia daemonum. Les attributs du bouc, ainsi que les noms de Baphomet et Moloch, sont également évocateurs d’une certaine érudition. Cela sans compter quelques allusions mythologiques, comme le Styx ou Hadès.

Mais la noirceur du sujet ne tient pas uniquement à un décorum ésotérique pour les seuls initiés. Ce qui dérange réellement reste la capacité de l’homme à se complaire dans le mal. Le satanisme n’étant ici qu’une couverture, un prétexte, à se laisser dominer par ses pires penchants. Les sacrifices d’animaux, les chasses à l’homme, sans oublier le plaisir érotique (fétichisme, magie sexuelle…) qu’en retirent les tortionnaires jonchent les pages comme autant d’incursions sporadiques et néanmoins éprouvantes dans les tréfonds de l’âme humaine. Il en émane une ambiance déstabilisante et très lourde, parfaitement représentative des thématiques à l’œuvre.

Dans cette optique, on songe à bon nombre de légendes urbaines, mais aussi à des affaires étouffées ou qui ont conservé leur part de mystères et de questions sans réponses. L’auteur évoque notamment les pans inexpliqués de l’affaire Marc Dutroux. D’aucuns pourraient considérer ces zones d’ombre comme relevant de l’affabulation pure propre à des hypothèses sans fondement. Toutefois, les théories les plus troublantes se basent sur des faits et une certaine approche pragmatique. En l’occurrence, la présente histoire les exploite comme il se doit. Sans être catégorique, elle met en exergue une enquête émaillée d’obstacles tout en proposant une réponse pertinente au problème initial, mais laisse une marge d’interprétation.

S’il reste uniquement dans le domaine du thriller, Du feu de l’enfer n’en demeure pas moins une exploration déroutante du satanisme. Entre l’appropriation des valeurs par les sociétés secrètes et les légendes urbaines attestant de leur omnipotence dans la société, Sire Cédric mène son récit avec rythme et maîtrise dans les pires déviances possible. Certes, la question du mal est une préoccupation récurrente dans le genre, mais rarement elle se révèle aussi pertinente et pessimiste. Car ce n’est pas l’appât du gain ou un quelconque mobile qui la justifie. Le mal est commis pour ce qu’il est. Par pure gratuité diront certains. Une lecture addictive et intelligente guidée par le style unique d’un érudit en matière d’intrigues ténébreuses.

Note : 17/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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