mars 19, 2024

Rien ne se Perd – Cloé Mehdi

Auteur : Cloé Mehdi

Editeur : J’ai Lu

Genre : Thriller

Résumé :

Une petite ville semblable à tant d’autres… Et puis un jour, la bavure… Un contrôle d’identité qui dégénère… Il s’appelait Saïd. Il avait quinze ans. Et il est mort… Moi, Mattia, onze ans, je ne l’ai pas connu, mais après, j’ai vu la haine, la tristesse et la folie ronger ma famille jusqu’à la dislocation… Plus tard, alors que d’étranges individus qui ressemblent à des flics rôdent autour de moi, j’ai reconnu son visage tagué sur les murs du quartier. Des tags à la peinture rouge, accompagnés de mots réclamant justice ! C’est à ce moment-là que pour faire exploser le silence, les gens du quartier vont s’en mêler, les mères, les sœurs, les amis… Alors moi, Mattia, onze ans, je ramasse les pièces du puzzle, j’essaie de comprendre et je vois que même mort, le passé n’est jamais vraiment enterré ! Et personne n’a dit que c’était juste…

Avis :

Le thriller est un genre propice à divers sous-genres et à traiter de problèmes qui peuvent aller de la psychologie des hommes au traitement sociétal d’une famille dysfonctionnelle. Ainsi, on peut regrouper les slashers avec des tueurs en séries, des énigmes à résoudre auprès de sectes un peu virulentes comme le thriller ésotérique, on peut aussi prédire l’avenir et voir des catastrophes naturelles, mais on peut aussi faire du thriller social, décrivant une société qui part à vau l’eau avec quelques affaires de meurtres ou de bavures. Cloé Mehdi avait fait grand bruit avec son premier roman en 2014, remportant le premier prix à Beaune avec Monstres en Cavale. Son second essai était donc attendu au tournant par tous les fans de thrillers et elle signe encore un grand coup selon les critiques spécialisées avec Rien ne se Perd. Et pourtant…

L’histoire est assez particulière et ne prend pas place dans un lieu précis. On évolue dans une grande ville comme il en existe un peu partout en France, et on va suivre le point de vue de Mattia, un jeune enfant de onze ans, qui a été placé sous la tutelle de Zéphyr, un jeune homme plutôt instable mais dont les parents ont un bras très long dans le système juridique. On apprendra donc que Mattia est placé là parce que son père s’est suicidé et que ni sa mère, ni sa sœur, ni son demi-frère ne veulent de lui, par pur égoïsme. Sauf que sa sœur revient de temps à autre, et que Mattia habite dans un quartier modeste où des tags refont leur apparition, voulant une justice pour Saïd, un jeune homme victime d’une bavure policière il y a quinze ans de cela. De fil en aiguille, on va vite comprendre que le meurtre de Saïd a un lien avec le suicide du père de Mattia, mais aussi avec Gabrielle, la petite amie suicidaire de Zéphyr. Bref, c’est un peu compliqué pour pas grand-chose, mais on s’y retrouve assez vite et de façon très claire.

Cela est dû en grande partie grâce au talent d’écriture de Cloé Mehdi. La jeune femme qui n’a que 25 ans possède une vraie plume et le démontre avec Rien ne se Perd qui a une structure assez particulière. Alternant des moments poétiques avec des moments plus bruts, s’amusant avec les codes du théâtre par moments, l’écrivaine arrive à captiver par ses phrases courtes mais efficaces et par son univers assez délicat, fragile, qui est constamment sur la brèche. Une brèche qui n’est pas forcément sociale, même si on est clairement dans un milieu plutôt modeste, mais surtout psychologique avec des personnages émotionnellement fragiles. Chacun à sa manière a des soucis et n’arrivent pas à les formuler avec des mots. Ainsi, Mattia a des problèmes pour dormir, Zéphyr possède un passé houleux qu’il ne se pardonne pas, Gabrielle veut mettre fin à ses jours et tout ce petit monde a des failles aussi grandes que des abysses. L’auteure manie savamment son intrigue, ne perdant jamais le lecteur et offrant toujours des moments d’attente qui donnent envie de tourner la page pour lire la suite. En un sens, Rien ne se Perd est une réussite, mais uniquement sur le plan formel.

Pour le fond, c’est une autre histoire, et cela reste très délicat d’en parler sans rien dévoiler de l’intrigue. Avec ce roman, Cloé Mehdi a voulu mettre en évidence l’impunité des policiers et leurs crimes qui restent constamment impunis, notamment à cause d’un système qui les protège, mais aussi d’une cohésion de groupe. Petit à petit, on va voir que le climat du roman se resserre autour d’un personnage en particulier, et on sent qu’il va y avoir un évènement sordide. Comme si l’ensemble de l’histoire ne l’était pas assez avec ses histoires d’hôpitaux, de suicide, de dépression, etc… l’auteure va rajouter dans son fond un message assez nauséabond et presque dangereux. A l’instar des flics américains qui tuent des blacks, l’auteure a voulu faire pareil, mais en France. Ainsi donc, il sera question de vengeance auprès d’un flic en particulier. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais non, la fin du roman possède vraiment un moment très gênant où l’on justifie ce crime, où l’on donne raison à la vengeance en faisant un exemple auprès d’un système injuste. Le parti pris de l’auteure est trop visible, et elle fait une généralité des bavures policières, comme si chaque policier au coin de la rue était un criminel en marche. Ce raccourci est assez dérangeant car il ne fait pas la part des choses. Alors certes, on est dans une fiction, ce qu’on nous rappelle bien au début du bouquin, mais la volonté de rendre tout ça crédible est très prégnante, d’où le sentiment de malaise. L’autre point noir, ce sera le choix de la première personne. Le lecteur va prendre la place d’un enfant de onze ans, ce qui n’est pas un souci, mais qui possède des réflexions très adultes, ne collant pas forcément au personnage, utilisant bien souvent un vocabulaire trop pointu. Un choix étrange, d’autant plus que l’on nous dit que cet enfant n’est pas très doué pour l’école.

Au final, Rien ne se Perd est un roman qui ne peut laisser indifférent et qui souffle le chaud au départ, comme le froid sur la fin. Si le style de l’auteure est parfait et que l’on peut y déceler quelques critiques justes sur le système judiciaire ou encore les hôpitaux psychiatriques, on regrettera un fond très manichéen, trop binaire et presque dangereux, valorisant à quelque part le œil pour œil, dent pour dent et justifiant le meurtre de flic pour se rebeller contre tout un système. Bref, un roman brillant sur la forme mais maladroit sur le fond.

Note : 12/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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