mars 19, 2024

Au Revoir Là-Haut – Pierre Lemaitre

Auteur : Pierre Lemaitre

Editeur : Le Livre de Poche

Genre : Drame, Historique, Comédie

Résumé :

« Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d’avantages, même après. »
Sur les ruines du plus grand carnage du XX° siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu’amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec Ses morts…

Avis :

En France, les auteurs qui s’essayent et qui percent avec un genre ont énormément de mal à s’en défaire. Il suffit de regarder le thriller pour s’en rendre compte avec notamment Maxime Chattam (même s’il a réussi à intégrer la famille de la fantasy), Franck Thilliez, Jean-Christophe Grangé ou encore Pierre Lemaitre. Ce dernier s’est rapidement illustré en 2006 avec son premier roman, Travail Soigné, puis ses thrillers suivants, dans lesquels il met toujours en scène des tueurs en série. Relativement glauque sur certains passages, l’écrivain ne laisse pas indifférent et continue sur sa lancée. Cependant, c’est en 2013 qu’il décide de changer de voie et de faire un roman totalement différent, s’inspirant des romans picaresques espagnols. C’est-à-dire écrire sous la forme d’un récit autobiographique à la place d’un personnage miséreux et à qui il va arriver des aventures rocambolesques. Et ce changement lui a porté chance puisque c’est avec ce livre qu’il va connaître la consécration, recevant la même année le prix Goncourt. Mais en l’état, est-ce que ce roman mérite ce titre ?

Le début du livre prend place durant la Première Guerre mondiale. On y croise trois personnages qui seront récurrents dans toute l’histoire. En premier lieu, on va faire la connaissance d’Albert Maillard, un soldat un peu craintif qui va se retrouver dans un trou d’obus lors d’une dernière bataille. Une bataille qui fut lancée par Henri d’Aulnay-Pradelle, un homme puissant, beau et qui ne pense qu’à une seule chose, sa réputation et sa grandeur. Enfin, nous allons croiser Edouard Péricourt, un soldat issu d’une riche famille, qui va sauver Albert, mais en faisant cela, il va recevoir un éclat d’obus qui lui arrache la partie inférieure de la mâchoire. A la sortie de la guerre, les destins de ces trois personnages ne vont faire que s’entrecroiser, dépeignant une société à la dérive, qui préfère vivre dans le souvenir et la gloire des héros défunts plutôt que dans celle des survivants.

Avec ce roman, Pierre Lemaitre propose une vraie histoire avec ce qu’il faut de péripéties, mais aussi un constat alarmant sur une société qui n’a pas tant évolué que ça. A travers ces trois personnages, on va avoir droit à trois points de vue différents. Le premier qui frappe immédiatement le lecteur, c’est le colonel d’Aulnay-Pradelle. Véritable pourriture dès le début du roman, l’auteur ne lambine pas pour nous dresser le portrait d’un homme vaniteux, pourri par l’argent et qui va tout faire pour profiter de la misère des gens. Personnage antipathique au possible, on ressent une véritable haine viscérale pour lui, et le pire, c’est que tout semble lui réussir, même ses arnaques éhontées, mettant en avant son irrespect pour les morts. Son évolution sera impressionnante, faite uniquement d’intimidation, de préjugés et de connaissances et avec ce personnage, Pierre Lemaitre montre à quel point on ne peut pas juger un homme sur sa carrière ou sur sa supposée posture. C’est-à-dire qu’avec ce protagoniste, il montre que les gens font des héros sans connaître véritablement la personne. Et ce fut un véritable fléau pour les survivants de la guerre.

Le deuxième personnage vraiment intéressant, c’est Edouard. Ce jeune homme au destin funeste (vivre avec une mâchoire inférieure en moins, c’est compliqué) est le symbole même des poilus qui reviennent de la guerre estropiés, mais dont tout le monde se fout. C’est un personnage à la fois triste et touchant, qui va vivre dans un autre monde, créant des masques pour cacher sa difformité. Il devra sa survie à Albert, ce soldat traumatisé par la guerre, froussard, mais qui considère Edouard comme son frère. Ils sont l’image même des oubliés de la France. A travers le roman, on ressent vraiment toute l’antipathie qu’ils inspirent parce qu’ils ne sont pas morts au front, cette injustice est vraiment écœurante. Mais c’est de là que va naître le coup d’éclat de l’auteur, à savoir manier avec justesse le côté dramatique et l’aspect comique et amoral de l’arnaque que les deux anciens soldats vont monter.

En fait, Pierre Lemaitre va mettre en place une double arnaque. D’un côté, le méchant de l’histoire va tout faire pour gagner de l’argent et bien se faire voir. Ainsi, il va créer des nécropoles pour que les familles des soldats puissent faire leur deuil. Cependant, il va vouloir faire des économies dans tous les sens et donc commander des cercueils trop petits. Cette partie est historique, puisque le scandale éclata quelques années après la guerre, retrouvant des cadavres mutilés pour les faire rentrer dans les cercueils et même des soldats allemands dans des tombes supposées françaises. D’un autre côté, nos deux compères attachants vont mettre en place une autre arnaque, de grande envergure, mais qui sera totalement fictionnelle et qui marchera du feu de dieu. L’auteur n’a pas son pareil pour narrer l’évolution du coup fourré et on y croit vraiment. Il faut dire que le style de Pierre Lemaitre est assez étrange au début, faisant des insertions des pensées des personnages au milieu des phrases, mais cela permet une certaine fluidité de lecture et offre un peu de légèreté dans une fresque finalement lourde de sens et qui rappelle de douloureux souvenirs, ainsi qu’une société qui ne sait pas où sont ses priorités.

Au final, Au Revoir Là-Haut est un très bon roman. A la fois drôle, triste, touchant, excentrique et parfois révoltant, Pierre Lemaitre sait comment accrocher le lecteur avec un style simple, dynamique et surtout intelligent. Jamais balourd dans sa narration, très pêchu, l’auteur trouve les mots justes pour finalement sortir un divertissement qui pousse à la réflexion sur notre société actuelle et sur la vacuité de la guerre qui semble ne servir que les pourris et les opportunistes.

Note : 17/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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