avril 24, 2024

Voyage au Pays de la Peur

Auteurs : Rodolphe et JJ Dzialowski

Editeur : Glénat

Genre : Horreur

Résumé :

Chaque année, H. P. Lovecraft et d’autres collaborateurs réguliers à la revue Weird Tales se retrouvent pour se raconter des histoires terrifiantes. Invité à l’une de ces réunions, un certain Grogan Masson leur évoque l’histoire du Sphinx des Neiges. Parti à la découverte du Pôle Sud, ce navire avait été le théâtre d’événements étranges… Avaries, disparitions, mutinerie, épidémies, hystéries collectives, le voyage n’avait pas tardé à se transformer en véritable cauchemar. De tout l’équipage, Masson est le seul survivant.

Avis :

Connus pour exploiter sans complaisance divers genres horrifiques (slasher, survival animalier, gore…), les comics Flesh & Bones se parent d’un septième album. Malgré un titre similaire, celui-ci n’a rien à voir avec le film d’Orson Welles et Norman Foster ou même celui de Jacques Tourneur. Pourtant, la présente histoire va multiplier les références. Là encore, on peut y reconnaître la signature pleinement assumée de la collection éditée par Glénat. En l’occurrence, imaginez un début évoquant Ghost Story de Peter Straub débouchant sur une conclusion toute suggestive et paranoïaque digne de L’Invasion des profanateurs de Jack Finney. Et entre les deux ? Le mélange est encore plus étonnant…

Comme cité précédemment, l’entame se fait autour d’un cercle d’amis écrivains qui se réunissent pour se raconter de bonnes histoires d’épouvante. La particularité ? Certains de ses membres comptent parmi eux Clark Ashton Smith et H.P. Lovecraft. Pour le reste, on ne rentre guère dans les détails, mais la présence de ces deux figures incontournables de la littérature ne peut qu’attiser la curiosité du lecteur. Mais cet aspect reste évasif, ne proposant qu’une introduction et un épilogue, le tout relevé par l’irruption du narrateur lui-même. Dès lors, il paraît évident qu’une bonne partie de l’intrigue développe une relecture de l’œuvre lovecraftienne. Enfin, pas dans l’immédiat.

La première partie de Voyage au Pays de la peur s’axe autour d’une expédition scientifique. Si les auteurs distillent déjà quelques références, le rapport à l’œuvre de Jules Verne s’impose avant toute autre considération. D’ailleurs, les termes et les allusions sont clairement évoqués dans les lignes de dialogues. Au demeurant, celles-ci se montrent relativement succinctes et taciturnes. Toujours est-il que l’on songe à L’île mystérieuse (dixit les crabes géants) ou au Sphinx de glace, dont le récit s’en inspire librement. On pourrait continuer à ressasser d’autres œuvres de l’auteur, mais cette base démontre une envie de développer le côté aventureux et extraordinaire d’un tel voyage.

Progressivement, le huis clos maritime navigue en eaux troubles, au sens propre, comme au figuré. L’émerveillement initial cède la place de manière implicite à une terreur justifiée au regard de l’hostilité de l’environnement, mais aussi aux circonstances qui gagnent en étrangeté au fil des bizarreries survenues sur le navire. Pour le premier point, on joue sur des ficelles inhérentes au survivalisme sans réellement entrer dans le vif du sujet. Les vivres qui commencent à manquer, la promiscuité, l’isolement en pleine mer, l’impossibilité de faire appel à une aide extérieure… Pour le second élément, l’on s’appuie sur les mécanismes de la peur qui font basculer le récit à la fois dans l’horreur et l’épouvante.

Et c’est seulement à mi-parcours que l’influence lovecraftienne pointe le bout de son nez. Une fois de plus, l’on ne peut s’empêcher de penser à des histoires telles que La quête onirique de Kadath l’inconnue ou Les montagnes hallucinées. Toute proportion gardée, les nouvelles relatives à la mythologie des Grands Anciens occupent une place non négligeable. Les auteurs ont également choisi d’incorporer leurs légendes à travers des éléments réels ou, a fortiori, dans d’autres mythes connexes pour leur fournir une dimension différente. Preuve en est avec l’Atlantide et la très séduisante hypothèse que la cité perdue se trouverait en Antarctique.

À juste titre, l’on serait en droit de se demander si l’ensemble de ses références ne noie pas l’originalité même de l’intrigue. Malgré l’étonnante présence de ces modèles littéraires, la trame parvient à instaurer ses propres marques à travers des séquences oppressantes, mystérieuses et, dans une moindre mesure, scabreuses. C’est cette alternance fluide des différents éléments qui la composent que l’histoire progresse sans heurt. Quant aux traits des dessins, ils rappellent le travail au fusain. Son côté schématique et épuré rejoint une connotation abstraite et pas forcément bien établie des dangers qui planent sur l’équipage et, par extension, sur l’humanité. Une patte esthétique pertinente.

Au final, Voyage au Pays de la peur est un comics à l’ambiance soignée, plutôt efficace dans sa mise en abîme de l’horreur indicible. On aurait pu craindre un récit gangrené par l’affluence incessante de références extérieures. Qu’elles soient explicites ou non, elles n’empiètent guère sur la qualité de l’ensemble. Qui plus est, elles offrent même un étonnant mélange entre Jules Verne et Lovecraft. Le présent livre se révélant le chaînon manquant entre les deux imaginaires, proposant à tout le moins une continuité parfaitement cohérente. Une curiosité moins trash que les autres comics de la collection, mais qui compense par des thématiques plus subtiles et délicates à travailler.

Note : 16/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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