mars 28, 2024

Izana, La Voleuse de Visage – Daruma Matsuura

Auteur : Daruma Matsuura

Editeur : Lumen

Genre : Drame, Fantastique

Résumé :

Dans le monde d’Izana, il y a le dedans et le dehors. Le dehors, c’est tout ce qui s’étend au-delà des murs de la maison : le soleil, les arbres, les autres… tout ce qu’elle n’a jamais vu autrement que dans ses livres ou à travers les carreaux. Car depuis sa naissance, elle vit recluse, bien à l’abri entre quatre murs. Un jour, poussée par la curiosité, la jeune fille décide de braver l’interdit et de s’aventurer à l’extérieur. Bien mal lui en prend – elle comprend que son visage est si effroyable qu’il ne peut être montré au grand jour.

Car si d’ordinaire, la laideur n’est pas un crime, il règne dans le village une terrible superstition. Autrefois se seraient affrontées une sorcière d’une grande laideur et une prêtresse d’une grande beauté : la première, victorieuse, aurait volé son apparence à la seconde. Depuis lors, toute petite fille laide née une certaine année est tuée sur-le-champ, sous peine de porter malheur aux habitants. Cette légende est même le thème d’une pièce de théâtre qui se joue chaque été. Izana y découvre pour la première fois, dans le rôle de la prêtresse, sa propre cousine. Née la même année qu’elle, Namino a été épargnée grâce à sa beauté extraordinaire…

Avis :

Il y a un phénomène qui se démocratise de plus en plus dans la littérature pour adolescents, c’est la novellisation des mangas, pour en faire des romans. Nous avions déjà pu le voir avec le roman Re/Member, qui est l’histoire du manga en un seul roman, déjà chez l’éditeur Lumen, et on peut le revoir ici, avec Izana la Voleuse de Visage, même si la donne est différente. En effet, Izana n’est point un manga à la base, mais c’est sa suite qui se décline sous la forme de BD japonaise. Fan d’Osamu Tezuka, Daruma Matsuura commence sa carrière avec les pinceaux pour écrire un premier manga qui connaîtra un joli succès, Kasane. Ce n’est qu’à partir de quelques bribes d’idées que la mangaka se voit proposer de faire un préquelle à son histoire, sous la forme d’un roman. Et si beaucoup aurait dit non face à la difficulté de changer de support, l’auteure s’est lancée à corps perdu dans son roman et le résultat est étonnant.

Et si étonnant ne veut pas forcément dire bon, Izana la Voleuse de Visage a plus d’un atout dans sa manche pour surprendre le lecteur et le prendre à revers. En effet, si on ne lit pas le synopsis e que l’on se fit seulement à la couverture, on pourrait supposer une histoire d’horreur avec une jeune femme au pouvoir mystique, changeant de visage et prenant alors la place de différentes personnes dans la société. On est très loin de la vérité. En fait, le roman se prête à un exercice périlleux, celui de combiner le folklore japonais, les mythes et légendes de certains bleds, avec une histoire plus contemporaine qui amène à la réflexion sur l’habitus primaire, à savoir si dès la naissance, on est promis à un avenir radieux ou à un calvaire. Partant sur cette idée de base, se faisant confronter le folklore à la réalité, l’auteure propose une histoire intéressante, mais qui pêche souvent par un manque de rythme et par une perte de repères en son milieu.

Tout le récit, ou presque, se concentre sur Izana qui raconte son histoire. Sauf au début, puisque l’on assiste à la naissance de la jeune fille et quelques passages au milieu qui seront les réflexions d’un jeune garçon se nommant Kingo. Ainsi donc, le roman peut se voir comme un recueil de pensées à travers trois personnages qui vont vivre une histoire similaire. Chigusa, qui recueille Izana en cachette, vit recluse dans sa maison du fait du décès de son mari, un médecin connu dans le village. Izana, de par sa laideur, doit vivre cachée, car elle aurait dû être tuée dès sa naissance à cause d’une malédiction idiote. Quant à Kingo, bâtard désavoué par sa mère, il est contraint de vivre chez Chigusa, reclus lui-aussi car rejeté par sa famille. Le récit s’articule donc autour de trois écorchés de la vie, liés par un même destin et chez qui une haine viscérale grandit au fil des pages. Une haine qui se traduit par des sentiments différents, jalousie, colère, amour déchu ou encore envie. L’auteure dresse trois portraits touchants et qui résonnent comme un film d’horreur, tant tout laisse à penser que le livre va exploser en milieu de récit pour partir vers un chemin sanglant et vengeur.

Mais ce ne sera pas le cas. En effet, Daruma Matsuura va inclure dans son histoire une amourette à deux balles et une quête à propos d’une pierre rouge que l’on retrouve dans une légende du village. Virant presque en roman épistolaire, l’histoire va stagner et on va se perdre dans des élucubrations pénibles et bien trop longues pour pleinement convaincre. La tension retombe et si la volonté de montrer que les légendes urbaines sont solides et bien trop ancrées dans les villages où règne une certaine consanguinité est réussie, il manque une dimension tragique et une montée progressive de la haine et de la peur. En un sens, Izana se transforme alors en quête initiatique alors qu’il aurait mieux valu verser dans l’horreur psychologique.

D’autant plus que tous les passages sont racontés à la première personne afin de faciliter une certaine projection du lecteur, mais si les états d’âme semblent incohérents, alors il est difficile de rentrer pleinement dans le roman. D’autant plus qu’il s’adresse clairement aux jeunes filles et lorsque l’on est un vieux trentenaire, autant dire que la projection nous passe par-dessus la tête. Néanmoins, le plaisir de lecture est présent, non seulement parce que les légendes folkloriques sont très bien décrites, mais aussi parce que le message comme quoi il faut se battre pour vaincre les préjugés est intéressant. Alors certes, on passe par un subterfuge fantastique pour vaincre ses peurs, mais il n’empêche qu’aujourd’hui encore, les gens ingrats auront moins de chance que les gens dits beaux. La fin, relativement glaçante, laisse une image assez intéressante de l’héroïne et prouve à quel point son état psychologique s’est dégradé, tout cela à cause d’une communauté finalement plus affreuse qu’elle.

Au final, Izana la Voleuse de Visage est un roman intéressant et qui brasse des thématiques assez inédites pour de la lecture adolescente. A la fois récit de vie et horreur psychologique, ce roman assez dense (il y a peu de dialogues) tient la route même si son milieu reste un peu anodin et même parfois pénible. Il en résulte une histoire plutôt intelligente, qui cible un public précis, mais qui s’avère plaisante sur bien des points en plus de donner à réfléchir sur le conditionnement dès notre naissance.

Note : 14/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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