mars 19, 2024

Le Nouvel Héphaïstos – Aliénor Helm

Auteur : Aliénor Helm

Editeur : Editions du Non Verbal

Genre : Philosophique

Résumé :

Andréas, espérant que l’isolement le guérira de sa dépression, s’est exilé sur une montagne loin de toute société. Mais bientôt, la solitude ne lui suffit plus : le monde le rattrape sous la forme de ressassements et de souvenirs, et ses crises de neurasthénie recommencent. Andréas décide donc de créer un « microcosme idéal » qui sera la concrétisation de tout ce qu’il aime encore : il élèvera un enfant dans l’ignorance de la civilisation afin qu’il reste pur, préservé de tout ce qu’il a fui.

Lysiane, Idris et Hénoch, les rares amis d’Andréas, sont venus le rejoindre sur la montagne. Sid, elle, a suivi Lysiane. Tous acceptent de participer à ce projet d’éducation et de suivre scrupuleusement les règles qui leur sont imposées.

Peu à peu, Sid commence à remettre en question ce nouveau monde où les idées, les œuvres et même les mots qui déplaisent à Andréas sont proscrits. Jusqu’au jour où elle décide de saboter l’éducation de l’enfant…

Avis :

Le nouvel Héphaïstos est le premier roman d’Aliénor Helm et présage du bon pour la suite de sa carrière littéraire.

Ce roman est déroutant de par différents aspects. Premièrement, on ne sait pas où se déroule l’histoire ni à quel moment. Les noms propres sont volontairement tus pour nous laisser imaginer à notre guise et nous imprégner davantage du thème discuté qui importe davantage. L’auteure affirme sa position en taisant les noms de lieux par des points de suspension comme dans la question : « La région de l’H… ? » (chapitre IV, page 26). Le lecteur peut ainsi compléter le mot comme bon lui semble et préciser ses idées avec des paysages qui lui sont propres et bien connus. Ce parti pris est intéressant et illustre bien le roman qui éveille chez nous une prise de conscience et des émotions intenses.

Deuxièmement, l’écriture est particulièrement belle dans son ensemble, alternant avec de longs monologues, des passages plus descriptifs, des moments de réflexion sur soi et des instants où les actions s’enchaînent rapidement. Certaines phrases sont longues et la lecture de certains chapitres demandent plus de concentration que d’autres, tant par les idées évoquées que par certains mots utilisés qui ne nous sont pas courants. Ce style d’écriture n’est pas adapté à tout type de public mais plaira à ceux qui aiment ce qui est envolé, contemplatif, lyrique ou poétique. Par ailleurs, certains passages, dans d’autres langues, sont bien agencés ; la traduction n’est pas écrite en tant que note de bas de page mais est directement amenée dans le texte, ce qui permet une lecture fluide.

Ce livre n’est clairement pas un livre d’aventures mais un roman de réflexion sur un thème bien défini même si d’autres interprétations sous-jacentes ont une place non négligeable. Les personnages sont, pour la plupart, des artistes (peintre, photographe, etc.) et le lien qu’ils entretiennent avec leur passion est particulièrement puissant. De nombreux passages du livre donnent des pistes de pensées sur ces arts, leur lien avec le monde et ce qui nous entoure ainsi ce que nous pouvons ressentir en le pratiquant. L’art littéraire et l’écriture sont aussi discutés dans ce roman, comme celui de la musique et des langues.

Le thème principal apparaît comme étant la vie, au sens large, associée aux principes du bien et du mal. Andréas a préféré s’isoler pour s’échapper du monde réel qui le fait souffrir et qu’il trouve mauvais. Ses idéaux sont constamment bafoués et il n’a trouvé qu’un seul moyen de se guérir : former un enfant, devenir l’auteur d’une page blanche, l’architecte d’un bloc brut, pour approcher l’être parfait et surtout croire que cela est possible et réalisable. Il sera accompagné dans sa tâche par quatre amis : Lysiane, Hénoch, Idris et Sid. Chacun est décrit de belle manière dans des chapitres qui leur sont spécialement consacrés. Les retours en arrière sont intéressants pour mieux comprendre les personnages et comprendre pourquoi ils ont suivi Andréas dans cette folie.

Même si cela n’est pas amené de cette façon, on ressent un malaise croissant dans l’œuvre d’Andréas, qui, au final, pervertit notre monde et notre culture pour ne garder que ce qu’il croit être bon pour l’enfant. On le voit dénaturer des livres, des œuvres, interdire l’usage de mots, de langues, de religions, et soumettre ses propres amis qui semblent perdre, au fur et à mesure, leur identité propre. Comme le laisse bien entendre le résumé du roman, Sid est à part et cela se ressent très vite tant à cause de l’écriture que de ses pensées. Sid est le personnage le plus décrit et celui avec lequel on partage le plus de temps. Ses pensées nous rassurent, sont plus proches des nôtres ou, du moins, moins perverties, et nous permettent de s’attacher à elle.

La fin arrive vite et étonne par sa rapidité de mise en place et sa violence. Non que la violence ne soit pas présente dans le livre, celle-ci est représentée par la folie d’Andréas, mais la violence physique n’apparaît que pour clore l’histoire, comme s’il n’y avait pas d’autres solutions possibles, ce qui est vraiment dommage.

Leçon de vie, conte, récit philosophique, Le nouvel Héphaïstos est un livre prenant pour les amoureux du genre, qui se satisferont également de nombreuses allusions à la mythologie grecque, comme le laissait supposer le titre. Le message du roman peut paraître clair comme flou, l’épilogue ne nous aidant pas vraiment à conclure sur ce point.

Note : 16/20

Par Lildrille

Lildrille

Passionnée d’imaginaire et d’évasion depuis longtemps, écrire et lire sont mes activités favorites. Dans un monde souvent sombre, m'évader et fournir du rêve sont mes objectifs. Suivez-moi en tant qu'auteure ici : https://www.2passions1dream.com/. Et en tant que chroniqueuse aussi là : https://simplement.pro/u/Lildrille.

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11 réflexions sur « Le Nouvel Héphaïstos – Aliénor Helm »

  1. Enfin, mille fois enfin, on trouve trace de ce livre ailleurs que sur le site de son éditeur !

    L’ayant lu il y a quelques mois puisque curieux des nouveautés du Non-Verbal et intéressé par l’intrigue annoncée (et loin d’être déçu par celle-ci), je ne peux qu’être d’accord avec l’enthousiasme présent dans cette critique (quand bien même l’idée de notation d’une oeuvre quelle qu’elle soit m’échappe totalement).

    Premier roman d’une autrice assurément dotée d’ambitions littéraires plutôt rares actuellement, il représente selon moi parfaitement ce que sont souvent ces entreprises-là quand s’ouvrent en grand les portes de la Création pour la première fois.

    A savoir qu’on y trouve toutes les fougues et névroses rassemblées en même temps (chacune prenant les traits d’un personnage précis), avec un sens du récit qui bien qu’anarchique au départ s’épaissit joliment au fil des pages.

    Comme si l’autrice grandissait en même temps que son livre. Comme si son coeur (comme le nôtre) battait plus puissamment à chaque paragraphe. Jusqu’à finalement éclater dans une fin, certes violente, mais salvatrice ! Parce qu’il faut qu’on respire.

    Livre imparfait mais touché par la grâce, le Nouvel Héphaïstos mérite évidemment un lectorat plus large, en attendant que l’Histoire s’en rappelle ou ne que sorte une suite spirituelle, toujours d’Aliénor Helm.

    (et puis la relation entre Sid et l’Enfant est tellement belle, et ils sont tellement classes, rien que pour ça, le Nouvel Héphaïstos se doit d’être tenté !)

    ((je suis un fanboy mais vraiment des premiers livres de cette qualités-là sont des items rares, des lueurs précieuses qu’il convient d’agrandir à la manière d’une loupe en usant d’enthousiasme !))

  2. Noter des œuvres est en effet quelque chose d’arbitrairement complexe et qui ne veut pas souvent dire grand chose mais c’est ainsi que marche le site (et beaucoup d’autres). Certaines personnes ne se bornant qu’à regarder la note de fin pour savoir si l’oeuvre a plu au chroniqueur ou non. Moi-même ai beaucoup de mal à donner des notes mais je m’y efforce et cela constitue au final un bon exercice de classification de mes goûts personnels.

    C’est un très bon premier roman, je suis d’accord. L’auteure a de l’avenir devant elle. Une fois commencé, je n’ai pu m’arrêter de lire, malgré quelques longueurs et explications en manque à certains moments. Les personnages sont intéressants et la fin étonne vraiment, on ne la voit pas venir. Les idées et messages dégagés méritent d’être étudiés et réfléchis à tête reposée. Une vraie bonne surprise qui fait du bien 🙂 A nous d’en faire la publicité comme il se doit !

    Je ne connaissais pas ces éditions, je pense m’y intéresser de plus près à présent.

  3. Premier commentaire hors du site de l’éditeur… Ce n’est pas trop tôt !

    Acheté dès la commande possible puis lu aussitôt reçu et dévoré en moins d’une journée pour finalement le donner à lire à tout mes proches ( toute la famille ou presque l’a lu ).

    Premier roman de l’autrice et premier roman de ce genre à mon actif, cette dernière a réussi à me faire tomber amoureux, évènement jamais ressenti durant mes lectures.

    Un style d’écriture contemplatif nous obligeant non sans plaisir à imaginer les lieux dans lesquels les personnages se trouvent tout en nous permettant de nous focaliser sur le fond, la réflexion présente nous donnant l’impression que l’autrice naît et grandit avec son œuvre.

    Les personnages quand à eux ayant chacun des talents, compétences et fonctions leur étant uniques nous donne une impression de mythologie où chaque dieu est défini par une ou plusieurs fonctions et diverses qualités.

    Ce livre est à lire et à relire, je le conseille tant bien même ce n’est pas un style d’écriture dont vous avez l’habitude, il permet une réflexion personnelle ( j’en suis à ma deuxième lecture ).

    Un premier livre d’une qualité rare ( il semblerait que nous nous accordons tous pour le dire ).

    Sur ce bonne lecture à toutes et à tous et comme dirait la demoiselle :  » Mythologiquement  » !

  4. Un roman où chaque scène prends un sens esthétique certain.
    Les images sont fluides, oui, les images. On se surprends à lire les mots et les phrases aussi limpidement qu’une bobine de film dans notre tête. (malgré certaines envolées philosophiques qui pourraient parfois nous perdre)
    La chute est un point important du roman, on pourrait même jusqu’à la personnifié et elle se présente dès les premières pages du livre. Celle-ci s’évide des peurs sociétales pour laisser place à la frustration insidieuse, mais intimement lié, aux sentiments exagérés que peuvent provoquer les situations émotionnelles auxquels les protagonistes font fasse. La narration arrive à rendre le lecteur présent dans les lieux en distillant une vision chimérique ET réel des scènes où se passent l’action. Se retrouvant souvent tiraillé entre passivité et révolte, on se fait volontairement happé par les fortes personnalités des résidents. Ceux-là nous poussent parfois à l’introspection intimes de nous-même envers eux.
    *Jamais un enfant n’aura été aussi enfant que Enfant.*
    En parlant d’enfant : Elle « enfante » son premier roman d’une manière très significative. L’histoire peut être aussi transposé et lu comme le cheminement d’un processus créatif. Le processus créatif de son propre roman. (Inception n’a qu’a bien se tenir.)
    Sa lecture est simple pour qui voudrait lire une histoire mélancoliquo-agressive, ou bien plus riche pour qui s’attardera empiriquement plus loin dans la philosophie propre à chaque personnage.
    Le paradoxe poétique que l’auteur nous livre est aussi un des points les plus délectables de cet univers cruel mais beau. Sucré, salé, amer, doux, et/ou organique.
    Le Nouvel Héphaïstos est un fantasme, le même qui vient réveiller des émotions que l’on croyait perdu.
    ET, il n’y à pas précisément de public visé. Cela pourrait donner une impression négative, mais c’est au contraire là où réside toute sa puissance, pouvant viser une élite littéraire ou comme un lecteur occasionnel.
    Lisez-le.

  5. Merci d’avoir proposer ce bon roman! Génial! Je l’ai beaucoup aimé. C’est si bien écrit et j’espère que l’auteur nous offrirons un autre!

  6. Livre très marquant, les images et les sensations que l’on peut ressentir lors de la lecture restent après que l’on ait reposé le livre, et nous font y replonger.

    L’histoire se veut très universelle/global et fait écho à beaucoup de choses personnelles. On en sort vidé, plein de réflexions et personnellement assez changée.

    Avec l’impression de revoir la vie, les Hommes sous un nouveau jour, d’arriver à comprendre ce qui est important et surtout à se faire confiance. L’instinct est de plus en plus présent au fur et à mesure de l’histoire, s’opposant aux idées pré-conçues et nous rappelle d’être à l’écoute de soi, des autres et de ce qui nous entoure.

    L’univers du livre est notre monde et ses paradoxes, vu à travers un kaléidoscope qui nous permet de prêter attention aux choses qui nous entourent et auxquelles on ne prête plus attention par habitude, et de leur redonner du sens.

    Une chute vertigineuse.
    Une oeuvre époustouflante.
    Chapeau bas pour Aliénor.

  7. Je ne suis pas un grand lecteur mais ce livre ! Je l’ai dévoré, extrêmement bien écrit et l’intrigue et son développement fonctionnent presque comme un film, tout en crescendo avec un climax de folie !
    Bravo !

  8. Que ce soit pour le style d’écriture qui est d’une grande fluidité, pour la narration, aussi d’une grande souplesse, ou encore pour l’histoire en elle-même, qui porte à réflexion, on ne saurait que trop conseiller la lecture de ce livre.

    Sa dimension, entre la nouvelle et le roman, accessible et efficace en terme de terme de temps de lecture, rend aisé l’abord du sujet et sa compréhension.

    La dimension psychologique de chaque personnage est explorée par l’auteure avec acuité mais sans lourdeur ou longueur, et le déroulement des événements ne nous laisse pas percevoir une fin prévisible au premier abord. Si bien que cela termine sans que l’on n’en sen rende compte.

    Bref, on ne saurait que trop recommander la lecture de ce livre, honnête et sans détours, et qui gagnerait à être plus connu, à l’heure où beaucoup de romans indigestes, pauvres stylistiquement, ou peu dignes d’intérêt quant au sujet, prolifèrent sur les étals de librairies …

  9. Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours

    Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.

    Bâtissons une ville avec sa citadelle,

    Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »

    Les vers de Victor Hugo installent l’intrigue de ce premier roman. Andréas, comme Cain, fuit le monde. Il présente sa fuite comme un véritable projet qui n’est en vérité que la suite d’une dépression dont on ignore l’origine mais qui ne fera que s’intensifier. Le dénouement sera aussi douloureux que son mal, dénouement qui se révèle terrifiant comme les derniers vers du poème de Victor Hugo. La fuite d’Andréas est aussi la tentative de matérialiser un idéal : il emporte avec lui un enfant qu’il choisit d’élever selon ses préceptes. Lysiane, Idris, Hénoch et Sid l’accompagnent dans ce projet d’éducation. A travers l’histoire de cette secte imaginaire, l’auteure interroge ainsi la nature d’une « bonne éducation ». Elle lie cette question à celle du divin, suggérant, comme les Grecs avaient coutume de le faire, que notre savoir exprime notre part de divin. Fuite, douleur, projet d’éducation idéale, tous ces éléments se rattachent à une seule question, celle de la création. Celle-ci apparaît comme une recherche angoissée. Chaque personnage entretient un rapport éprouvant à la création, l’un s’enferme dans la répétition du même sans parvenir à créer du nouveau, l’autre se soulage en détruisant les créations des autres. L’insatisfaction et l’angoisse ne disparaissent jamais complètement chez les esprits aspirant réellement au divin.

    Aliénor Helm, par sa subjectivité créatrice et divine, assume les affres de la création et c’est précisément ce qui lui permet de les contourner pour proposer un premier roman parfaitement maîtrisé.

  10. Une bonne claque !
    Un roman philosophique qui pousse à la réflexion. Court mais intense, écrit de manière très intelligente. Ne pas trouver sa place dans une société décadente et vouloir en créer une autre. On peut entrevoir des influences philosophies telles que Nietzsche (Surhomme) et Platon (Idéal et enseignement). Comment peut-on vouloir mettre au monde un enfant, et le laisser dans une société qui dans tous les cas, l’aliénera et l’empêchera de cultiver un potentiel qui pourrait l’élever. Un roman, un monde.
    Vivement un prochain livre ! Une auteure à suivre !

  11. Un livre philosophique qui pousse à la réflexion. Très Nietzschéen, très bien écrit avec de nombreuses références à la mythologie. Le questionnement sur la place d’un enfant dans ce monde m’a particulièrement touché (futur parent). J’ai adoré ! Une auteure à suivre

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