avril 19, 2024

Comancheria – Macadam Cowboys

comancheria

 

Titre Original : Hell or High Water

De : David Mackenzie

Avec Jeff Bridges, Chris Pine, Ben Foster, Gil Birmingham, Dale Dickey

Année : 2016

Pays : États-Unis

Genre : Policier/Western

Résumé :

Après la mort de leur mère, deux frères organisent une série de braquages, visant uniquement les agences d’une même banque. Ils n’ont que quelques jours pour éviter la saisie de leur propriété familiale, et comptent rembourser la banque avec son propre argent. À leurs trousses, un ranger bientôt à la retraite et son adjoint, bien décidés à les arrêter.

Avis :

L’avantage quand on fraye le festival tout au long de l’année, et ce même quand on s’intéresse beaucoup au cinéma, c’est qu’on a souvent la chance de découvrir des films sortis de nulle part qui nous tombent sur le coin des yeux comme un coup de massue, et apparaissent comme de véritables petits chefs-d’œuvre.

Car le monde du cinéma ne se décline pas qu’en noir et blanc. Il n’y a pas que de grands chefs-d’œuvre, des films de cinéastes reconnus, épiques, ambitieux, d’une profondeur et d’une acuité qui résonneront longtemps dans la mémoire des spectateurs, opposés à des films mineurs et anecdotiques, mais aussi toute une palette d’œuvres qui peuvent nous enthousiasmer au plus haut point tout en restant d’une humilité qui leur empêchera une postérité aussi grandiose que de coutume.

Ceux-là sont de petits chefs-d’œuvre. Des films qui, au premier abord, de par leur diffusion ou la modestie de leur sujet, ne paient pas de mine, mais s’avèrent d’une telle maitrise, d’une telle sympathie, d’une telle efficacité, qu’on ne peut s’empêcher de chanter leurs louanges pour qu’ils soient vus par le plus grand nombre.

 

Comancheria (qui a préféré reprendre le tout premier titre du film, à savoir le nom du territoire comanche au Texas, au lieu de traduire Hell or High Water par Contre vents et marées) est de ceux-là.

Quand on se retrouve, comme moi, à feuilleter le catalogue d’Un Certain Regard du Festival de Cannes pour se constituer un programme de visionnage, il suffit de voir un titre pareil, les mots braquages et Texas, et la présence de Jeff Bridges, pour être automatiquement attiré sans avoir besoin d’en savoir plus.

Le nom du réalisateur pourtant, David Mackenzie, résonnait à mon oreille comme un nom connu. Evidemment, puisque celui-ci n’a cessé d’osciller entre chien et loup, du très bon Young Adam avec Ewan McGregor et Tilda Swinton au trop propret Toy Boy, nous livrant coup sur coup en 2011 le fabuleux et apocalyptique Perfect Sense et le beaucoup plus anecdotique Rock’n Love, jusqu’aux Poings contre les murs, son dernier essai en date, il y a de cela trois ans.

 

Et si le travail du réalisateur n’a pas toujours été exempt de tout reproche, Comancheria s’avère tellement dans le haut du panier qu’il le survole littéralement. Nanti d’un script ressorti grand gagnant de la Blacklist 2012 (cette liste d’Hollywood qui catalogue les meilleurs scénarios pas encore portés à l’écran) écrit par Taylor Sheridan (également auteur de Sicario), le film annonce clairement dès les premières minutes qu’il va nous scotcher au siège dans un sourire béat pendant 1h40.

On y découvre Chris Pine (qui porte très bien la moustache de redneck) et un Ben Foster si flasque et bouffi qu’il m’a fallu une bonne dizaine de minutes pour le reconnaître, deux frangins décidés à braquer les différents établissements d’une banque dans un coin paumé du Texas, avant de se retrouver poursuivis par un ranger perspicace au bord de la retraite (Jeff Bridges qui parle avec un caillou dans la bouche) qui compte bien dénouer les fils de leur redoutable plan.

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Un plan qui ne dévoilent pas ses tenants et aboutissants avant un très long moment, laissant le loisir au spectateur de le deviner par lui-même. C’est ce qui caractérise d’ailleurs un script plein de subtilités et de circonvolutions, qui cultive le mystère en privilégiant l’ambiance et les rapports humains, ceux-ci tissant au fur et à mesure une toile scénaristique limpide.

Car au final, en y réfléchissant après coup, l’histoire de Comancheria n’a rien d’extrêmement complexe. Deux frères, l’un fraichement divorcé, l’autre fraichement sorti de prison, qui deviennent hors-la-loi par soif de justice, et un duo de rangers essoufflés qui n’osent pas vraiment s’avouer leur amitié, un plan simple et des obstacles inattendus, une trame classique mais puissante qui prend toute sa saveur grâce à l’utilisation qu’elle fait de ses personnages.

 

D’abord il y a Chris Pine. Le regard toujours aussi bleu, prompt à faire fondre les midinettes aux quatre coins de la planète, mais effacé derrière un masque mélancolique aux accents d’Amérique profonde. Il promène sa silhouette de fermier idéaliste au long du film, coincé entre un passé qui n’a pas porté ses fruits et un futur qui risque de lui échapper. Comme Liam Hemsworth dans le récent Cut Bank (qui lui aussi prend place dans une bourgade perdue au fin fond des Etats-Unis), le beau gosse montre là une nouvelle facette de son jeu d’acteur, beaucoup plus fragile et beaucoup moins héroïque.

 

Ensuite il y a Ben Foster. Un comédien habitué aux seconds rôles qu’on peut aussi bien découvrir habité que complètement inexistant, comme s’il choisissait les personnages dans lesquels s’investir. On peut toutefois voir se dessiner un schéma : quand Ben Foster a une barbe, il joue bien. Cela se confirme en voyant ses prestations pour Alpha Dog, 3h10 pour Yuma, 30 jours de nuit, les Amants du Texas, dans lesquels il arbore toujours une pilosité faciale plus ou moins prononcée, là où des films comme Otage, X-men : l’Affrontement final ou le Flingueur l’ont vu glabre et beaucoup plus oubliable (on distingue quand même des exceptions à cette règle, The Messenger et The Program le voyant tous les deux investis ET imberbe). Et fatalement, on le retrouve ici arborant à la fois une belle barbe mal entretenue, mais aussi une lassitude et un air profondément désabusé, qui se retrouvent jusque dans sa silhouette, bouffie, molle, pleine d’embonpoints, pour un personnage à la morale douteuse mais à la loyauté sans faille.

 

Et puis il y a Jeff Bridges. Égal à lui-même dans la composition d’un personnage exubérant mais brut de décoffrage, il trimballe une carcasse fatiguée qui peine à suivre un mental toujours vert, la diction pâteuse et la démarche débonnaire. Il campe un shérif des temps modernes à la poursuite de desperados au grand cœur, à la fin de sa carrière, au soir de sa vie, se sentant presque dépassé par une société assez cruelle pour pousser les individus à devenir des hors-la-loi. Son duo avec son partenaire amérindien (Gil Birmingham, le Billy black de Twilight), faux souffre-douleur et vrai compagnon, sujet constant de quolibets provocateurs faussement racistes, cette relation d’amitié-haine en forme d’amour vache, est un des éléments les plus plaisants de Comancheria.

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Autour de ce quatuor de tête gravitent tout un tas de seconds rôles forts et charismatiques, serveuses, employés de banque, patrons, vieux bonhommes et texans à la gâchette facile. Une galerie de personnages hauts en couleur qui semblent avoir tous bénéficié de la même attention de la part du scénariste, notamment dans des dialogues enlevés ou puissants, parfois drôles, parfois touchants, qui font fréquemment virer le film au ping-pong verbal rafraichissant tout droit sorti d’un Tarantino humble.

 

Enfin il y a cette ambiance de western crépusculaire empreinte d’une grande lassitude, où le soleil écrasant succède aux nuits glaciales, créant une routine dans laquelle se débattent des êtres profondément meurtris mais toujours pleins de fureur. Grace à la maitrise visuelle de Mackenzie (qui a déjà prouvé qu’il était un très solide artisan capable de sortir des plans somptueux de son chapeau), plus qu’une histoire impeccable entre arnaque et braquages, Comancheria est une peinture âpre du Texas de l’Ouest, de cette Amérique profonde qu’on aime à scruter. Banques dévalisées, « saloons » aux serveuses loyales ou peu commodes (au choix), citoyens adeptes de la justice expéditive, fermiers écrasés par la société et indiens au grand cœur, tous les éléments sont réunis pour faire du film un véritable western moderne doté d’une belle grande âme.

 

Pour toutes ses raisons, et probablement d’autres, Comancheria est un film à voir impérativement, qui n’a jamais peur d’aller au bout de son concept et du déroulement logique de son histoire, et propose autant de surprises que d’éléments incroyablement attachants.

Note : 18/20

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=GQMJ83hkOpU[/youtube]

Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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