mars 19, 2024

Ravage – René Barjavel

9782070362387

Auteur : René Barjavel

Editeur : Gallimard

Genre : Science-Fiction

Résumé :

« Vous ne savez pas ce qui est arrivé? Tous les moteurs d’avions se sont arrêtés hier à la même heure, juste au moment où le courant flanchait partout. Tous ceux qui s’étaient mis en descente pour atterrir sur la terrasse sont tombés comme une grêle. Vous n’avez rien entendu, là-dessous ? Moi, dans mon petit appartement près du garage, c’est bien un miracle si je n’ai pas été aplati. Quand le bus de la ligne 2 est tombé, j’ai sauté au plafond comme une crêpe… Allez donc jeter un coup d’œil dehors, vous verrez le beau travail! »

De l’autre côté de la Seine une coulée de quintessence enflammée atteint, dans les sous-sols de la caserne de Chaillot, ancien Trocadéro, le dépôt de munitions et le laboratoire de recherches des poudres.

Une formidable explosion entrouvre la colline.

Des pans de murs, des colonnes, des rochers, des tonnes de débris montent au-dessus du fleuve, retombent sur la foule agenouillée qui râle son adoration et sa peur, fendent les crânes, arrachent les membres, brisent les os.

Un énorme bloc de terre et de ciment aplatit d’un seul coup la moitié des fidèles de la paroisse du Gros-Caillou.

En haut de la Tour, un jet de flammes arrache l’ostensoir des mains du prêtre épouvanté.

Avis :

Prédire l’avenir, entrevoir l’humanité dans les siècles à venir. La science-fiction est le domaine des visionnaires. Des auteurs qui poussent le voile du temps pour mieux observer ce qui s’y terre. Les plus talentueux réussissent à faire de leurs histoires de véritables prophéties dont les similitudes avec la réalité sont pour le moins troublantes. René Barjavel est l’une des figures principales du genre dans l’hexagone. Malgré son décès, son œuvre traverse les âges sans prendre une ride… ou presque. Ravage est sans doute son roman le plus connu, le plus encensé de par son discernement et cette profonde réflexion sur les technologies et leur usage au quotidien.

L’intrigue s’axe sur trois parties distinctes. La première dépeint la capitale française en 2052. Un exercice pour le moins délicat puisque l’auteur s’y essaye avec plus d’un siècle d’avance. Néanmoins, Barjavel parvient à donner vie et à crédibiliser sa vision par le biais d’un traitement généraliste qui englobe l’ensemble des aspects d’une société contemporaine. Travail, loisirs, politique, santé ou nourriture sont autant d’éléments qui entrent en ligne de compte pour montrer par la suite l’ampleur et l’influence d’un cataclysme en devenir. Il est vrai que certains passages peuvent paraître datés ou incohérents avec ce que nous connaissons du XXIe siècle, notamment en ce qui concerne l’informatique et les outils de communication.

Mais ce n’est pas sur ce point que Ravage pèche. D’ailleurs, cela lui confère un charme désuet bienvenu. Non, le problème vient de certains clichés ou caricatures qui, même dans les années 1940, sont difficilement concevables. À certains moments, l’intrigue se perd dans un manichéisme bas du front où les considérations à la limite du racisme fusent. Reléguer les Noirs (de « pure race ») au rang de terroristes sans scrupules qui fêtent leur victoire autour d’un feu et aux sons de musiques tribales, ce n’est pas Tintin au Congo, mais on s’en rapproche grandement. Malheureusement, il ne s’agit en rien d’une maladresse puisque l’histoire va continuer à souffler le chaud et le froid.

La seconde partie, elle, s’attarde sur l’après-catastrophe. L’absence d’électricité et la paralysie des instances publiques laissent la populace livrée à elle-même. Sur ce point, Ravage fait office de précurseur en mettant en avant des groupes qui s’organisent bon gré mal gré pour traverser une épreuve commune. Le terme n’existait pas encore à l’époque, mais on tient là l’un des tout premiers livres sur le survivalisme, voire le premier. L’on voit des codes se dessiner à travers une hiérarchie sociétale où chacun est sollicité selon ses compétences et ses capacités (physiques et intellectuelles). Sur ce point, Ravage reste d’actualité avec des comportements et une gestion de crise crédible au regard des moyens à disposition pour les personnages.

Au vu de ce qu’a instauré Barjavel, la caractérisation s’avère moindre ; pour ne pas dire négligé tant les émotions que suscitent chaque protagoniste sont fluctuantes. En effet, ceux-ci se limitent à une ligne de conduite sans s’en écarter ; à tout le moins, remettre en cause des décisions discutables ou changer leur point de vue. L’auteur préfère les contraindre à des faits et des têtes fortes, quitte à les faire plier plutôt qu’à laisser un minimum de spontanéité et donc de réalisme découler de leurs réactions. Chaque individu est développé de manière à les soustraire à leurs responsabilités tout en les maintenant dans le conformisme d’une civilisation décadente.

Pour autant, ces qualités et ces faiblesses ne sont rien en comparaison d’une ultime partie qui détruit tout ce qu’a pu construire Barjavel. Un autre bond dans le temps nous donne l’occasion d’apprécier l’évolution sur le long terme des survivants et là, on retombe dans des travers archaïques qui n’ont rien à envier aux terroristes Noirs. Cette « renaissance » de l’homme comporte bien des heurts. L’aspect communautariste renvoie aux sectes et à une dichotomie paternaliste où seul le chef de village (le gourou) possède la sagesse pour guider ses brebis égarées. Outre un message religieux sous-jacent grossier où la parole du Seigneur (et du patriarche) fait office de lois sacrées, la gent féminine est devenue un objet de procréations qu’on se passe entre maris polygames (obligatoire dans le Nouveau Monde). Pour ne rien gâcher, les livres sont l’œuvre du mal, car ils restent une source de savoir et donc de remises en cause de l’ordre établi. Autrement dit, Barjavel se tire une balle dans le pied avec une idéologie contradictoire et surannée.

Au final, Ravage n’est pas le chef d’œuvre de science-fiction auquel on aurait pu s’attendre, loin s’en faut. Malgré un début prometteur, une vision de l’avenir pertinente et surtout un aspect survivaliste complètement novateur pour l’époque, l’histoire privilégie le sensationnel au détriment de l’émotionnel. De fait, on nous octroie un panel de portraits assez agaçants qui, au mieux, suscite l’indifférence. Mais tout cela aurait pu être relégué à l’objet de maladresses si l’auteur ne sombrait pas dans des propos tendancieux où la misogynie ambiante côtoie un racisme à peine masqué par des prétextes fallacieux. Et c’est sans doute sur ce point que Barjavel est déstabilisant. Il se montre lucide sur le devenir de l’homme tout en nourrissant une pensée archaïque sur les civilisations, les origines ethniques et la gent féminine. On préférera se plonger dans l’univers dystopique de George Orwell avec 1984 ou voir Métropolis de Fritz Lang pour découvrir des classiques intemporels de la science-fiction.

Note : 11/20

Par Dante

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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