mars 29, 2024

Creed – L’Héritage de Rocky Balboa – Les Poings sur les I

abd8082ecfdcdec9b4daa6b6e08c33ff

Titre Original : Creed

De : Ryan Coogler

Avec Sylvester Stallone, Michael B. Jordan, Tessa Thompson, Phylicia Rashad

Année : 2016

Pays : Etats-Unis

Genre : Drame

Résumé :

Adonis Johnson n’a jamais connu son père, le célèbre champion du monde poids lourd Apollo Creed décédé avant sa naissance. Pourtant, il a la boxe dans le sang et décide d’être entraîné par le meilleur de sa catégorie. À Philadelphie, il retrouve la trace de Rocky Balboa, que son père avait affronté autrefois, et lui demande de devenir son entraîneur. D’abord réticent, l’ancien champion décèle une force inébranlable chez Adonis et finit par accepter…

Avis :

Quel parcours que celui de Sylvester Stallone tout de même.

Parti de rien (ce n’est plus un secret pour personne que son premier essai fut un film érotique, l’Étalon italien, à une époque où il frôlait la misère), il a trimballé sa carrure dans la série B en tant que second, voire troisième rôle (Le Prisonnier de la seconde avenue, Capone, La Course à la mort de l’an 2000), avant de percer dans le désormais célèbre Rocky dont il écrivit lui-même le scénario.

Alors qu’il aurait dû s’embarquer dans une carrière hétéroclite de thrillers, policiers, drames, avec FIST, La Taverne de l’enfer, les Faucons de la nuit ou À nous la victoire, le succès de Rocky et de ses inévitables suites le mena dès le début des années 80 à s’engouffrer tête baissée dans l’actioner burné qui voyait là ses années fastes, suivant l’exemple de Chuck Norris et ouvrant la voie à tous les Schwarzie, Van Damme, Bruce Willis et autres Dolph Lundgren.

Grand bien lui en a pris, puisque si l’on excepte deux erreurs de trajectoire (L’Embrouille est dans le sac et Arrête ou ma mère va tirer), il est resté au sommet de l’Olympe pendant près de 20 ans en enchaînant les blockbusters, jusqu’à ne plus être vu que comme un énième « gros bras sans cervelle » (qui pullulaient à cette époque dans les vidéoclubs).

Pas étonnant dès lors que lorsqu’on apprend sa participation à un projet complètement différent, on n’y croit pas une seconde. Pourtant il va surprendre tout le monde, faire taire les mauvaises langues et rappeler d’où il vient avec Copland. Dans le très bon film de James Mangold, on le voyait dans un rôle aux antipodes de ce dont il avait l’habitude, en vieux flic poussif et fatigué avec pas mal de kilos en trop, qui prouvait qu’il était un acteur avant d’être un action man.

file_610406_creed-trailer

Curieusement, la sortie du film, en 1997, coïncide avec la fin d’une époque pour Stallone. Après ce succès critique, il a peu à peu perdu le fil pendant presque 10 ans, enchaînant apparitions anecdotiques, thrillers insipides et projets trop gros pour lui (on se souvient difficilement de The Good Life, Mafia Love ou les Maitres du jeu, et douloureusement de Compte à rebours mortel, Driven ou Spy Kids 3D).

Aussi quand il annonce revenir coup sur coup aux deux rôles qui ont fait sa gloire, Rocky et Rambo, respectivement 16 ans et 20 ans après les derniers épisodes, il y a de quoi rire sous cape, et encore une fois personne n’y croit.

Et pan, deux films qu’il réalise lui-même, deux retours en arrière sur des personnages cultes, deux chefs-d’œuvre, chacun dans leur style. Et si, malgré une mélancolie qui sied fort bien à son héros, John Rambo impressionne surtout par son énergie, son culot et sa violence barbare à faire pâlir un réalisateur italien des années 70, c’est bien par l’émotion brute et la pertinence des thèmes abordés que Rocky Balboa fait mouche, le hissant pour bien des spectateurs au rang de l’original.

C’est un retour sur le devant de la scène pour Sylvester Stallone, qui l’impose comme un artiste complet, et lui permet de renouer avec le succès et de nouveaux projets pétaradants, notamment la série des Expendables, qui lui ont permis d’approcher doucement les 70 ans en continuant à distribuer des bourre-pifs, jusqu’à ce Creed en 2016.

Si je vous ai fait subir un aussi long incipit en forme de biographie (et vous m’en excuserez j’en suis sûr), c’est encore une fois, parce qu’il s’est passé exactement la même chose.

Un nouvel opus de la saga Rocky est annoncé (alors que Sly avait de son propre aveu bouclé la boucle avec le dernier), qui verrait le fils d’Appolo Creed devenir le héros, et si Stallone refuse tout d’abord de participer, il finit par se laisser convaincre par le réalisateur de devenir le mentor d’un jeune boxeur, dans un spin-off qui fleurait bon l’épisode mercantile de trop, et ce malgré la présence derrière la caméra de Ryan Coogler, responsable du très réussi Fruitvale Station.

Et pourtant, le miracle a lieu une nouvelle fois.

Non seulement le film est impressionnant de maitrise et de sincérité, mais il devient évident que ni Rocky ni son interprète n’ont dit leur dernier mot, tant il rayonne de charisme et d’intensité, nous bouleverse et nous prend aux tripes, quitte à presque éclipser le pourtant très juste Michael B. Jordan (déjà dans Fruitvale Station et cet été dans les 4 Fantastiques).

Alors qu’on le pensait pièce rapportée d’un projet annexe, premier film de l’univers de Rocky qui ne soit ni écrit ni réalisé par lui, il en devient le cœur et le catalyseur, justement parce qu’il est le dernier acteur, presque le dernier personnage (on retrouve aussi, bien que plus en retrait, Mary Anne Creed, ici interprétée par Phylicia Rashad, la Clair Huxtable du Cosby Show) à représenter la saga dans son entièreté. Il est ce lien avec le spectateur d’alors, judicieusement conservé par Ryan Coogler pour fluidifier la filiation et le passage de témoin.

Car encore une fois, s’il n’atteint pas les sommets de Rocky Balboa, c’est dans l’émotion et les thèmes abordés que Creed frappe fort, réussissant à trouver un nouveau souffle et de nouveaux enjeux tout en restant dans la continuité de la série. Plus encore que dans le scénario en lui-même, qui semble hésiter entre révérence et changement de cap drastique, étouffé par la volonté de Coogler et son scénariste Aaron Covington de réadapter l’histoire originale au public actuel. La conséquence, c’est que le film a parfois de faux airs de remake sans jamais atteindre tout à fait l’acuité et la sensibilité de son aîné, notamment dans une histoire d’amour un peu pâlichonne entre Adonis Creed et une jeune musicienne électro qui aurait mérité plus de profondeur, là où la love story entre Adrian et Rocky aurait pu faire fondre même le plus réfractaire des huissiers de justice.

Du coup, sans être totalement linéaire, loin de là, le récit sort rarement des rails du genre, et on y retrouve les passages obligés, entrainement, premiers combats, le fameux jogging dans les rues de Philadelphie, qui parfois peinent à se défaire de leur pesant héritage.

creed-stallone-jordan-cover

Mais le sel du film n’est pas là. Certes la trame est très classique, jamais ennuyeuse ou plate mais au final assez attendue, mais au-delà du duo d’acteurs impeccable (Stallone est sur le toit du monde, Jordan confirme tout le bien qu’on pensait de lui), la réussite inespérée du film tient en deux points : les thèmes abordés et sa réalisation.

La thématique du film, à l’aune même de son concept initial, suit deux lignes directrices claires et ambivalentes : le poids des ans et le poids du passé. Tout le film, toute la profondeur du métrage puise dans cette idée que le temps passe, inexorable, et conditionne autant notre vie que celle de ceux qui viendront après nous.

Rocky, vieux boxer fatigué à la gloire passée, toujours respecté et admiré, traîne sa carcasse usée dans un univers qui n’est déjà plus le sien et lui rappelle pourtant sans cesse ce qu’il a traversé. Ceux à qui il a survécu, ceux qu’il a vu grandir, ses souvenirs, ses photos, sa maison trop grande pour lui, son ancienne salle d’entraînement, des éléments qui nourrissent le personnage et son évolution. Stallone assume son âge (il aura 70 ans en Juillet prochain), et questionne même à travers Rocky la volonté des vieilles gloires des 80’s à jouer des biscottos encore et toujours, et plus encore leur capacité à le faire. Balboa alimente le feu sacré du jeune Adonis comme les anciens action héro celui de la nouvelle génération.

Adonis, de son côté, plie sous les doutes, les angoisses et la responsabilité familiale qu’il s’impose à lui-même, et trace son propre chemin avec difficulté. Fils illégitime d’un grand champion, caché et jamais reconnu, c’est un enfant sans père qui a le combat dans le sang et a du mal à se défaire de cet héritage qu’il n’a jamais demandé. Pièce rapportée de la famille Creed, sans cesse comparé à Apollo, il suscite les mêmes attentes et s’engouffre dans la carrière de boxeur comme s’il sentait ne pas avoir le choix. Partagé entre le poids de l’héritage familial et la volonté d’exister par lui-même, il trouve dans Rocky à la fois la figure paternelle manquante et le vecteur qui pourra donner du sens à son combat. En témoigne la scène de footing, rappel de la célèbre montée d’escalier de l’original, qui paraît bien proprette jusqu’à ce qu’elle rejoigne la trajectoire de Rocky, qui l’éclaire sous un tout nouveau jour. Pour s’émanciper, Adonis ne doit pas « tuer le père », mais au contraire l’accepter et puiser dans la force des aînés, de la même façon que beaucoup de nouvelles têtes de l’action forgent leur carrière grâce ou en écho aux stars du film d’action passées.

C’est là le coup de génie de Ryan Coogler sur Creed, donner à son film trois niveaux de lecture, tout en gardant cette même thématique de filiation. Comment le poids du temps et de l’héritage pèse sur Adonis et Rocky, comment il pèse sur la saga et sur un film comme Creed face à elle, et comment il pèse sur les héros des années 80 et leurs remplaçants aujourd’hui.

Non content d’être une passionnante nouvelle pierre à l’édifice Rocky, c’est en quelque sorte le film somme des préoccupations cinématographiques actuelles, qui se tournent vers le passé pour mieux préparer le futur.

Quant à la réalisation, c’est un véritable coup de maître que nous propose Coogler. Il alterne trois procédés différents, le plan-séquence, le montage alterné et/ou dynamique, et les champs-contrechamps posés qui reviennent à intervalles réguliers, créant une structure en forme de match de boxe où les chapitres de l’histoire d’Adonis Johnson Creed seraient autant de rounds revenant en leitmotiv. Passée une introduction tout en finesse permettant de poser les bases du récit, le film commence par un plan-séquence qui voit le boxeur se préparer pour un match informel au Mexique, puis le suit jusqu’au ring où l’on découvre l’atmosphère enfumée et la foule vociférante, jusqu’à ce que le combat commence. Ainsi, chaque nouvelle étape de l’évolution d’Adonis sera marquée par un plan-séquence qui, en plus de donner aux acteurs le matériau nécessaire à une interprétation habitée et sans coupure, nous plonge dans une action continue qui fait adroitement ressentir cette roue qui tourne, cette pression constante et se fil qui se déroule (notamment lors d’un match de boxe, entièrement en plan-séquence donc, qui nous fait nous demander si ce n’est pas la plus belle et percutante idée de toute la saga).

Chaque nouveau palier de son entrainement sera mis en corrélation avec l’évolution de la relation entre Adonis et Rocky, d’abord absent, puis le soutenant, puis les deux s’aidant l’un l’autre, etc.

Et toute la réalisation du film sera construite de cette façon, aussi carrée et libre, intense et furieuse qu’un match de boxe. Jusqu’à l’inévitable combat final qui pousse le concept jusqu’au bout, le réalisateur, après un plan-séquence en écho à celui du début, modifiant et adaptant sa réalisation à chaque round pour mieux suivre la progression du combat, tantôt près des corps, tantôt plus éloigné, tantôt concentré sur les adversaires, tantôt allant et venant entre eux, les spectateurs et les entraineurs, tantôt en plans secs et gestes rapides, tantôt en ralentis plus artistiques. En plus de renouveler l’intérêt pour le match et son issue de manière exponentielle (plus la scène avance et plus on doute de notre certitude par rapport au dénouement), ce procédé est une manière incroyablement pertinente de dépeindre l’évolution d’une telle situation, tant d’un point de vue physique que mental, et l’émotion n’en est que plus prégnante.

Creed_77637

Incroyable surprise, digne représentant d’une saga culte, et plus encore son héritier légitime, Creed, si ce n’était une histoire d’amour moins réussie et une trame générale très classique, pourrait presque se hisser au niveau du premier et du sixième opus. Film aussi poignant qu’énergique, il reste un chef-d’œuvre de l’époque moderne, grâce à ses thématiques fortes, ses personnages attachants (n’oublions pas Graham « Dwalin » McTavish en entraineur british roublard), sa réalisation incroyable, sans oublier une BO entrainante qui fait honneur à ses aïeux.

Note : 18/20

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=6TclKfsCAEs[/youtube]

Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

Voir tous les articles de AqME →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.