mars 28, 2024

Kaléidoscope -Les Acteurs Multifaces au Cinéma – 3ème Bobine: Des Caméos à Répétitions

Un caméo… Mais qu’est-ce que ça peut bien être ?… Selon la définition consacrée, un caméo au cinéma est l’apparition fugace dans le récit d’un acteur, d’un réalisateur ou d’une personnalité. Une pratique extrêmement courante dans le monde du 7ème Art, qui fait office d’amusement pour l’interprète, et de secret caché (communément appelé Easter Egg, soit œuf de Pâques) pour le spectateur. On vient souvent faire coucou dans les films des amis, ou dans son propre film en tant que réalisateur, parfois de manière régulière, comme les célèbres apparitions d’Alfred Hitchcock dans chacune de ses œuvres, celles de M. Night Shyamalan qui finissent par prendre trop de place, ou la fidélité de Bruce Campbell qui apparaît dans la quasi totalité des films de Sam Raimi depuis Evil Dead. Et parfois, ces caméos peuvent se multiplier au sein d’un même film, créant un festival d’apparitions pour le coup plus ostensibles que cachées.

Tiens, puisqu’on parle de Sam Raimi, prenons L’Armée des ténèbres, troisième opus de sa saga horrifico-comique. Le réalisateur ayant l’habitude de donner un petit rôle à son frère Ted dans la plupart de ses films, il était normal qu’on le retrouve aussi dans celui-là. Sauf qu’il fait ici pas moins de quatre caméos, apparaissant tour à tour sous les traits d’un guerrier peureux terrifié à l’idée de mourir, d’un supporter villageois qui criera à Ash « vous pouvez compter sur ma lame ! », d’un homme d’arme avec un bandeau sur l’œil, et enfin d’un magasinier du S-Mart (Priba en VF) ou notre héros travaille. Une véritable occasion de se faire plaisir, de faire plaisir à la famille, et aussi de faire plaisir au spectateur connaisseur qui s’amusera d’autant plus à repérer les apparitions de Raimi que l’Armée des ténèbres est un film culte que beaucoup ont vu en boucle tout au long de leur enfance (oui, je parle en connaissance de cause, vous m’avez percé à jour…).

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C’est également le cas dans un autre film maniant à la fois l’horreur et l’humour, Une Nuit en enfer de Robert Rodriguez. Le compère de Quentin Tarantino (également dans le film en tant que scénariste et acteur) a comme Sam Raimi sa petite « famille » d’acteurs qu’il fait régulièrement tourner dans ses productions. On y retrouve souvent Antonio Banderas, Salma Hayek, ou encore (et surtout) Danny Trejo. Et aussi un acteur moins connu, habitué des seconds rôles, apparitions et doublages de dessins animés (si si) : Cheech Marin. Au casting des Desperados, Spy Kids, et de Machete, il a droit dans Une Nuit en Enfer à un traitement de roi avec trois apparitions (et trois personnages) cultes, plus étoffées que les caméos de Ted Raimi, mais moins importants que ses rôles habituels chez Rodriguez. Agent des douanes à la frontière du Mexique qui manque de peu de découvrir les frères Gecko, on le retrouve peu après grimé en mexicain barbu et ventripotent qui harangue les routiers à l’entrée du Titty Twister (un monologue ordurier passé depuis à la postérité) et il fait enfin une ultime apparition à la toute fin du film où il est Carlos, le mafieux que devait retrouver Seth Gecko. À l’origine, il était prévu qu’il ne joue que les deux premiers rôles, assez déguisé en Monsieur Loyal scabreux pour qu’on le reconnaisse pas facilement (ce qui a été le cas pour beaucoup de spectateurs de la première heure), et Erik Estrada (CHIPS) avait été approché pour tenir le rôle de Carlos. On a jamais su (et on n’a jamais demandé) pourquoi cela n’avait finalement pas pu se faire, mais le fait est que Cheech Marin s’est vu affublé d’un troisième rôle et d’une seyante moustache qui arrive difficilement à déguiser son apparence. Mais au vu de la qualité humoristique de la scène (« C’était des détraqués ces types ? » « Non, c’était des vampires, les détraqués ça n’explose pas aux premiers rayons du soleil, même s’ils sont salement pétés de la tronche ! » ) et du ton général du film, on se doute que la crédibilité n’était pas la priorité de Robert Rodriguez, et après tout, on s’en tape, personne n’a été se plaindre.

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Au Royaume du cinéma, dans le Comté de la comédie, le caméo du réalisateur est monnaie courante, et Mel Brooks s’en est même fait une spécialité, apparaissant dans la totalité de ses films. Génial touche-à-tout, scénariste, réalisateur, compositeur, chanteur, acteur, il s’est même parfois accordé de vrais rôles de premiers plans, comme celui de Van Helsing dans Dracula, mort et heureux de l’être, du businessman Goddard Bolt dans Chienne de vie, et même le doublé Yogurt/Président Skroob de La Folle Histoire de l’espace. Il aime tellement faire le pitre devant la caméra que toutes les occasions sont bonnes pour apparaître à l’écran. Dès Le shérif est en prison, on pouvait le repérer dans quatre rôles. D’une part il est aisément identifiable en Gouverneur William J. LePetomane et en chef indien parlant yiddish (et l’on voit bien là sa propension à la fois à l’humour pipi-caca et au décalage absurde). De l’autre l’œil avisé saura le reconnaître sous les traits anachroniques assumés d’un acteur jouant Adolf Hitler, et d’un sbire du grand méchant, portant veste d’aviateur et lunettes de soleil. Il pousse même le vice jusqu’à une participation vocale en prenant part à un chœur allemand pendant l’une des chansons du film. Mais là, il faut le savoir ou avoir l’oreille absolue. Plus tard dans sa carrière, il trouvera un moyen simple de justifier ses multiples apparitions en faisant de La Folle Histoire du Monde un film à sketchs. Retraçant l’Histoire de l’Humanité depuis l’homme des cavernes jusqu’à la Révolution Française, le long-métrage est interprété par une myriade d’acteurs (dont Orson Welles en narrateur), mais seul Mel Brooks apparaît dans chacun des segments, se glissant tout à tour dans la peau de Moïse, du philosophe romain Comicus, de l’Inquisiteur Torquemada, de Louis XVI, et de Jacques, « garçon de pisse ». Un véritable fil rouge entre les histoires, et l’une des rares fois où Mel Brooks phagocyte réellement l’attention en étant l’attraction principale d’un de ses films.

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Enfin, les recordmen toute catégorie des créateurs d’un film apparaissant dans celui-ci sont bien entendu les Monty Python. Coiffés de la double casquette d’acteur et de cinéaste dès leurs débuts sur la BBC, habitués à se travestir et à multiplier les personnages pour les sketchs du Monty Python Flying Circus, ils se retrouvèrent naturellement à interpréter de nombreux rôles lors de leur passage au cinéma. La chose peut sembler logique pour Sacré Graal et Le Sens de la Vie, ceux-ci étant plus proches de leur travail sur le Flying Circus que d’un long-métrage scénarisé. Ainsi, les deux films se composent de plusieurs sketchs, et chaque représentant de la troupe (à savoir Graham Chapman, John Cleese, Eric Idle, Michael Palin, Terry Jones et Terry Gilliam) se voit attitré rôles principaux et second rôles au gré des segments. Les apparitions sont trop nombreuses pour les citer toutes, mais cela passe par Arthur, Lancelot, Galaad, Dieu, le Chevalier noir, le Vieux de la scène 24 ou Roger le jardinier dans Sacré Graal, et par un obstétriciens, des poissons, un serveur ou même la Mort dans Le Sens de la Vie. Et même lorsque leur film est vraiment scénarisé (comme La Vie de Brian et son quiproquo autour du Christ), ils se débrouillent pour être de toutes les scènes, avec cette énergie communicative et cette volonté vorace de créer personnages et situations, de changer de peau et de costumes au gré des péripéties. En plus de Brian, de ses parents, des Rois mages ou de Ponce Pilate, on les retrouve ainsi dans un tas de rôles de seconds plans, un officiel juif à la lapidation, un centurion à la cour, un « prophète de sang et de tonnerre », des crucifiés, etc., et même au sein de la figuration, portant le nombre total de leurs apparitions à plus de quarante ! Une certaine idée de l’homme orchestre adaptée à toute une troupe, et une excellente manière, d’une certaine façon, de réduire le casting et les coûts de production. Car après tout, quand on est toute une équipe d’acteurs talentueux capable de se fondre dans n’importe quel rôle, il n’y a pas de petites économies.

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Interlude : Quand on n’a pas de moyens, on a des copains

Ce gimmick de l’économie de casting peut devenir une véritable condition indispensable pour une toute petite production qui n’a pas forcément le budget pour engager de multiples acteurs. Quand on finance soi même son film, avec des délais de tournage très courts, une toute petite équipe, un concept qu’on veut le plus minimaliste possible, on est jamais contre une rentabilisation maximum de ses interprètes.

C’est ce qui est arrivé sur le tournage du Clerks de Kevin Smith. Financé par son réalisateur qui vendit une grande partie de sa collection de comic books et utilisa l’argent mis de côté pour ses études à l’université, le film ne pouvait se targuer que d’un budget d’à peine plus de 27.000 $. Pour palier à cela, il embaucha (ou plutôt se fit aidé à titre gratuit) sa famille et ses amis pour intégrer l’équipe technique et le casting du projet. Il fit tourner sa mère dans le rôle d’une cliente, et le personnage dont le métier est de « masturber manuellement des animaux en cage pour insémination artificielle » est joué par sa propre sœur Virginia. Quant à Scott Mosier, rencontré à l’école de cinéma de Vancouver, il avait conclu un pacte avec lui qui précisait que le premier à tourner un film verrait l’autre le produire. Ce qu’il fit. Et en bon copain, il assura également 3 petits rôles/apparitions, William « Snowball » Black, un joueur de hockey en colère, et un parent du défunt tout aussi énervé.

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Un autre proche de Kevin Smith était également venu lui prêter main forte sur le tournage. Son ami d’enfance, Walter Flanagan, fut décrit plus tard par Kevin Smith comme « le Lon Chaney des années 90 ». Voyant que son camarade avait du mal à se débrouiller avec le manque de comédiens, il décida spontanément de s’emparer au jour le jour des rôles laissés vacants par des acteurs qui, faute de rémunération adéquate, ne prenaient pas le projet au sérieux et ne s’étaient tout simplement pas montré au moment du tournage. Investi totalement dans ce film qui n’était pas le sien, présent la majeure partie du temps sur le plateau pour donner un coup de main ou simplement remonter le moral de son ami, Flanagan se glissa naturellement dans les baskets du fumeur au bonnet de laine (qui achète un paquet de cigarettes juste après avoir participé à une manifestation anti-tabac), de l’homme qui compare les œufs, du client offensé et de l’admirateur de chats. Quatre apparitions aux antipodes l’une de l’autre qui permettent à Clerks de fourmiller de personnages et de vivre, malgré l’étroitesse du budget. On le retrouvera d’ailleurs dans la plupart des films de Kevin Smith jusqu’à Clerks II.

Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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