avril 18, 2024

Coup de Chaud – Pour Meurtre de Sang Froid

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De : Raphaël Jacoulot

Avec Jean-Pierre Darroussin, Grégory Gadebois, Karim Leklou, Carole Franck

Année : 2015

Pays : France

Genre : Policier

Résumé :

Au cœur d’un été caniculaire, dans un petit village à la tranquillité apparente, le quotidien des habitants est perturbé par Josef Bousou. Fils de ferrailleurs, semeur de troubles, il est désigné par les villageois comme étant la source principale de tous leurs maux jusqu’au jour où il est retrouvé sans vie dans la cour de la maison familiale…

Avis :

On raille, on raille, mais finalement le cinéma français ne va pas si mal.

Certes il faut se tarter des drames en trois-pièces cuisine fabriqués à la chaine pour des millions d’euros, ou les aventures désolantes d’humoristes hystériques à tête de veau, mais en cherchant bien et en ciblant ses sorties ciné, il est possible de découvrir de petites pépites qui s’éloignent des carcans habituels.

Et ce même sans aller dans le circuit très indépendant, qui se débrouille de son côté pour faire décoller le cinéma de genre gaulois en festivals et en vidéo.

Qu’on se souvienne de l’Affaire SK1, l’Astérix d’Astier, Bodybuilder, La French, Hippocrate, Jacky au royaume des filles, la Prochaine fois je viserais le cœur l’année dernière, Réalité, la Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, Floride (dont je vous reparle très rapidement), la Loi du marché, Microbe et Gasoil, la Tête haute, ou la palme d’or Deephan rien que pour la première moitié de 2015, on peut trouver des films originaux, profonds, subtils, appliqués, voire tout ça à la fois, au sein de la production cinématographique française.

Et le courant ne s’arrêtera pas avec Coup de chaud, de Raphaël Jacoulot, thriller rural qui prouve une fois de plus que la France gagne plus à se référer à son patrimoine qu’à tenter de singer la production étrangère. Un film posé, simple (mais jamais simpliste) dans sa construction et sa réalisation, et d’une acuité scénaristique incroyable, sans esbroufe ni facilités sensationnalistes, bref l’exact inverse de ce dont le public français s’abreuve, que ce soit la jeunesse biberonnée aux pétaradantes séries US ou la ménagère avachie devant un sous-Julie Lescaut neurasthénique.

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Ici pas de policiers, pas de course-poursuites, pas d’enquête, de huis-clos ou de duels de malfrats, simplement une étude de mœurs et de personnages tendue comme un string neuf sous le soleil écrasant de la France profonde.

Et je ne précise pas quelle France profonde à dessein, car aucune indication dans le film ne permet de connaître le nom du village ou sa localisation exacte, en faisant un lieu anonyme et reculé où l’autarcie peut facilement exacerber les dissensions.

Et pour cause, le scénario est tiré d’une histoire vraie survenue dans la région d’origine du réalisateur, qui a préféré conserver l’universalité du propos plutôt que de se baser sur des informations réelles sur les protagonistes.

Une histoire tragique qui commence une nuit de déluge, quand Joseph Bousou (incroyable Karim Leklou) s’écroule dans la cour de sa maison, poignardé à mort.

Et qui reprend des semaines plus tôt dans le même village, alors que la canicule échauffe les esprits, que la sécheresse guette les agriculteurs, que les conflits d’égo grondent, et que Joseph, benêt pas méchant mais envahissant, marginal cleptomane en pleine misère sentimentale, fait les 400 coups à travers le village sans que sa famille fasse preuve d’une quelconque autorité.

Pas étonnant, dès lors, qu’entre les frasques de l’énergumène, la météo catastrophique pour les agriculteurs et les diverses rivalités de voisinage, la situation menace sans cesse de déraper. Grand couillon peu subtil en perpétuelle recherche d’affection, Joseph ne fait rien pour arranger les choses (peut-être aussi parce qu’il ne comprend pas où sont ses torts), et finit par cristalliser les ressentiments, les peurs et les colères des villageois, soulagés de se trouver un bouc émissaire de circonstance.

Vols mystérieux, agressions supposées, dégradations ou simplement climat d’insécurité, les situations et les événements s’accumulent, échauffent les sens, et font de Joseph le coupable idéal, dévoilant les lâchetés quotidiennes et les arrangements égoïstes.

Et le réalisateur de poser la question : À qui, des villageois ni pires ni meilleurs que d’autres en situation de crise ou de l’handicapé social au comportement hasardeux surprotégé par le cocon familial, à qui doit être imputé le cercle vicieux qui s’installe ?

Une question qui trouve une relative réponse tout au long du film, puisque Raphaël Jacoulot évite la fable moralisatrice ou le jugement hâtif en pointant du doigt la répartition des fautes, rappelant, si c’était encore nécessaire, que les tragédies survenant dans des groupes fermés ont souvent de multiples responsables.

Le responsable, c’est tout le monde. Les citoyens sclérosés, les parents laxistes, les adolescents méprisants, et Joseph aussi, qui tout bouc émissaire qu’il soit, n’est pas exempt de tout reproche et ne fait qu’engraisser la spirale de haine et de violence dans laquelle le village glisse peu à peu.

Car une des grandes, grandes réussites de Coup de chaud, pour décrire efficacement cette descente aux enfers, c’est sa galerie de personnages écrits au cordeaux, et sa peinture d’un microcosme renfermé sur lui même, où tout le monde connaît tout le monde, suspecte tout le monde, jalouse tout le monde et s’enferme dans une routine qui s’étiole peu à peu lorsque deux problèmes (la présence de Joseph et l’imminence de la sécheresse) finissent par s’entrechoquer.

Chaque protagoniste est un rôle à part entière, et trouve sa place dans la construction du scénario.

Il y a l’artisan fraichement arrivé, placide, effacé, presque lâche, qui découvre son nouvel environnement principalement par les rumeurs autour de Joseph, le maire réservé et compréhensif (impeccable Jean-Pierre Darroussin) protégeant ce boucan fragile depuis l’enfance, la famille de celui-ci, ferrailleurs et gens du voyage, soudés mais dépassés par les événements, il y a l’agricultrice au courage proche de l’abnégation, tiraillée entre sa volonté de ne pas céder aux préjugés et la situation préoccupante qui lui fait entrevoir le vide de son existence, le cultivateur bourgeois condescendant et égoïste qui ne perd pas une occasion de montrer sa supériorité, ou encore la vieille retraitée aimante, les ados vicelards sans le comprendre, bref, tout un maelström de corps et d’âmes qui donnent vie au récit.

On pourra d’ailleurs louer le talent des comédiens, et le choix de ceux-ci dans leur rôle, tant ils occupent une fonction scénaristique en même temps qu’ils défendent un personnage. Autour de Darroussin, seule tête immédiatement reconnaissable du film, qui campe le maire et donc l’autorité naturelle du village, gravitent tout un tas de visages connus qui constituent le cœur des seconds rôles français de qualité, notamment Grégory Gadebois et Carole Franck qu’on a pu voir ces dernières années dans la série Les Revenants.

Et pour Joseph, il fallait du sang neuf, un jeune acteur à la présence imposante et au jeu subtil, et Raphaël Jacoulot l’a trouvé en la personne de Karim Leklou. Le comédien, qu’on avait déjà pu apercevoir dans Grand Central et qui sera bientôt à l’affiche des Anarchistes, est la véritable révélation du film. Tout en humeur changeante, en gestes gauches et en regards un peu absents, il promène sa silhouette dégingandée de grand dadais aussi affectueux qu’insupportable que son comportement finit par rendre inquiétant.

Bref, tous campent des personnages solides, avec leurs forces et leurs failles, que la caméra scrute longuement et au plus près des visages, dans leurs gestes quotidiens, leurs doutes et leurs incompréhensions. Le réalisateur a bien compris que l’intérêt de l’histoire n’était pas dans une accumulation de péripéties et d’événements mais dans ses personnages, dans de petites tranches de vie qui dérapent peu à peu, dans les silences et les brefs éclats de violence, et laisse régulièrement tourner sa caméra pour construire ses scènes en succession de plans-séquences, ajoutant encore au climat lourd et tendu des situations. Et laissant la part belle à ses comédiens, donc, qui peuvent retrouver le naturel nécessaire à cette montée graduelle vers l’hystérie quasi-collective et le point de non retour.

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Tout au plus peut-on considérer que, pour le spectateur non informé de la véritable histoire, il est dommage de commencer par la mort de Joseph avant de « simplement » découvrir ce qui a mené à ça, et que le film aurait peut-être gagné à laisser planer le doute quant à la résolution des événements, mais c’est un détail qui n’entache en rien la réussite de ce thriller original, qui change des sempiternelles enquêtes policières dépressives dans la ville lumière.

Note : 18/20

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Par Corvis

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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